Un seul Brassens, sept familles !

Quelle lumineuse idée ! Afin de célébrer le centième anniversaire de la naissance de Georges Brassens, la compagnie grenobloise des Sept Familles a concocté une lecture musicale autour de quelques-unes de ses plus belles chansons. Une petite merveille qui intéressera à coup sûr les inconditionnels du poète moustachu, non sans séduire également celles et ceux qui n'ont qu'une vision partielle de son œuvre pléthorique. Emmanuèle Amiell, interprète aussi généreuse qu'inspirée, admet sans fausse honte que c'était son cas. Fort bien accompagnée, il lui aura donc suffi de passer le pont...

Au commencement était le verbe. La narration a bien failli démarrer sur un extrait de la fameuse émission radiophonique donnée par le trio Brassens-Ferré-Brel le 6 janvier 1969. Mais, après y avoir réfléchi, Emmanuèle a finalement décidé d'ouvrir son propos par un texte de René Fallet, écrivain et intime du grand Georges. Un vrai éloge ainsi qu'un choix logique pour elle qui ne se prétend pas chanteuse, mais "comédienne qui chante". Ici, c'est d'abord autour de retranscriptions d'interviews de Brassens qu'elle a travaillé, avant de réfléchir aux différentes chansons dont elle pourrait se servir en écho. Cet immense corpus, elle l'a abordé par sa face écrite, bénéficiant des conseils d'André Giroud et Alain Moullé, ses amis musiciens. "Personnellement, je n'ai pas été biberonnée par Brassens... ou bien alors, je ne m'en souviens pas, explique-t-elle. André et Alain, eux, en sont vraiment férus. Je les ai donc laissés me le faire découvrir, à partir de mes choix pour le fil conducteur. De mon côté, j'ai plutôt tendance à regarder les textes pour voir ce qui pourrait fonctionner, sans rien écouter". Cela ne veut surtout pas dire que la musique est la grande oubliée dans cette histoire. Au contraire, les connaisseurs constateront qu'elle a été scrupuleusement respectée et même remise sur le devant la scène. En un mot : ça swingue ! Brassens lui-même n'était-il pas grand amateur de jazz ? Malgré les années, ses mélodies non plus n'ont pas pris une ride.

Tout cela correspond bien à ce que les Sept Familles savent et aiment faire. Pour le comprendre, un petit rappel historique s'impose. Emmanuèle raconte : "Au tout début, avec Michel Ferber, nous étions un peu les héritiers d'une autre compagnie qui, elle, s'est alors transformée en Troisième Bureau. Nous avons dès lors fait, comme elle, beaucoup de lectures publiques. Mon attachement fort à la musique m'a donné envie d'inventer des lectures musicales, vu que je pensais que ce serait ludique et plus facile à entendre. C'est devenu notre spécificité et, depuis notre création en 1999, on a dû en proposer presque 150". L'aspect commémoratif de cette "année Brassens" a ainsi permis de rejouer une lecture déjà existante dans le répertoire de la troupe. "Nous étions également attachés à l'idée de diffuser le patrimoine poétique, en mettant en avant des auteurs comme Aragon, Hugo, Prévert, Vian et donc Brassens". La compagnie a par ailleurs su s'inspirer de textes littéraires réunis autour d'un même thème. Toute source écrite est susceptible d'intéresser Emmanuèle : insatiable, elle révèle en souriant qu'elle s'est même penchée sur des discours prononcés à l'Assemblée nationale. Elle certifie aussi qu'il lui serait possible de reprendre une partie de ses travaux pour d'autres dates, ainsi qu'elle l'a déjà fait dans de très nombreux lieux différents. Des salles de spectacles, bien sûr, mais aussi des écoles, des musées, des bibliothèques... et souvent même en plein air ! 


Voilà assurément une artiste qui aime varier les plaisirs ! La première fois que j'ai croisé sa route, c'était pour un spectacle autour de David Bowie, Let's dance remix. Cette vibrante passion pour le jeu et la musique l'anime depuis bien longtemps. Côté planches, d'abord : "Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai toujours voulu être comédienne. J'ai donc tout fait pour le devenir et suis entrée en classe d'art dramatique au Conservatoire d'Annecy, ma ville d'origine. Puis, par hasard, j'ai passé le concours du Conservatoire de Grenoble en donnant la réplique à une amie. C'est comme cela que j'ai débarqué ici. Admise, j'ai intégré une classe à objectif professionnel. C'est un cursus de trois ans, à raison de quarante heures par semaine de théâtre, de chant, de danse, etc. Et après en avoir terminé, j'ai rapidement travaillé. C'était parti !" Fidèle à ses idées, la prolifique comédienne n'a depuis jamais cessé d'associer ses deux disciplines, qu'elle estime "complémentaires... et à la fois très différentes". Point de vue d'experte : "On dirait qu'elles ne font pas marcher le même point dans le cerveau". Emmanuèle se nourrit donc de l'une comme de l'autre, sans pouvoir - ni même vouloir - dissimuler un féroce appétit pour les mots, tout simplement. "Oui, j'aime les textes, ceux du théâtre et ceux de la chanson. Le classique et le contemporain. Bien entendu, comme chacun d'entre nous, j'ai mes préférences, mais je suis curieuse de tout et un peu boulimique. Un exemple ? Quand je me suis lancée dans la lecture de Murakami, j'ai dû lire tous ses bouquins. Idem avec le théâtre de Hugo. Cela dit, je n'ai jamais été une fan". Ce n'est certes pas le public qui se plaindra de cette gourmandise, tant elle inspire de belles (et très originales) créations.

Emmanuèle, pour sa part, s'amuse beaucoup et a changé d'avis sur Brassens, dont elle trouvait la langue un peu désuète. Aujourd'hui, elle met surtout en avant son immense talent et serait tout à fait ravie de le porter une nouvelle fois sur scène. "Je pense qu'aujourd'hui, il paraît moins subversif qu'il ne l'était à son époque, car on a davantage l'habitude de ce qu'il défend. Pour cette lecture, j'étais partie d'un postulat : ne pas seulement chanter des chansons très connues ! Je ne suis pas certaine d'y être arrivée, mais je voulais donner toutes les facettes de Brassens : le rebelle, l'amoureux et surtout le poète". Le plaisir était en tout cas de la partie, grâce aussi aux arrangements proposés par ses complices. Un vrai délice pour les oreilles ! Pour le moment, il faudra vous satisfaire de cette modeste évocation écrite : aucune nouvelle date n'est encore définie pour d'autres représentations. Une promesse, toutefois : je reste à l'affût et m'efforcerai de vous en aviser, le cas échéant. Et maintenant ? Les Sept Familles n'ont rien à leur programme avant 2022. Prometteuse, leur rentrée prochaine est prévue en janvier, avec notamment la reprise d'une autre lecture à Champ-sur-Drac (dont je reparlerai peut-être en temps utile). Emmanuèle a plusieurs gros projets sous le coude : One Shot, une association avec Éric Capone - et des amis communs - dans un tour de chant au Pot au Noir, à Rivoiranche, pour fêter la musique le 21 juin, mais également la reprise du Chant des coquilles Saint-Jacques dans la rade de Brest, un spectacle créé en Isère au cours de l'été dernier. "J'espère trouver quelques nouvelles dates en extérieur, mais également d'autres en salles pour notre saison 2022-2023". On croise les doigts...

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Une précision pour finir...

La première photo qui illustre cet article appartient à l'association grenobloise Musée en Musique, que je veux remercier de me permettre ainsi d'illustrer mon texte. Emmanuèle, André et Alain, eux, ont été ses invités au Musée de Grenoble pour un concert, le 2 décembre dernier. S'il n'était pas plein, le très bel auditorium de 278 places ne devait pas en être loin !

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