Florian Delgado : le cynisme lui va si bien

Le titre de cette chronique est une boutade. J'ai vérifié plusieurs fois que le ton acerbe du sieur Delgado n'excluait en rien toute autre forme d'humour, voire d'autodérision. Cela dit, sur scène, son drôle de détachement plus ou moins moqueur s'avère parfois une redoutable arme de persuasion massive. Florian a été le premier des comédiens du Théâtre du Risque à s'être... risqué à l'exercice du solo. Et Enfin la fin, la pièce qu'il avait choisie pour cela, avance sur un fil. Ironique et tendu !


Chaque représentation a sa vérité, mais un beau soir, au Petit Théâtre du Créarc, le public était médusé lorsque la lumière s'est éteinte pour signifier la fin du spectacle - et l'était encore lorsqu'elle s'est rallumée. Pas question ici de révéler pourquoi il aura fallu qu'un autre comédien de la troupe intervienne pour que la salle se vide enfin : quatre dates de reprise sont programmées en mai prochain et chacun pourra donc juger de sa propre réaction à cette étonnante conclusion. Florian, lui, n'est à vrai dire pas mécontent d'avoir suscité une telle émotion et détaille bien volontiers d'autres situations cocasses, qu'il n'avait pas toujours anticipées et survenues lors d'autres soirées. Il faut dire qu'il a une expérience significative qui peut sans doute l'aider à toujours retomber sur ses pattes : il fait du théâtre depuis bientôt 25 ans déjà ! Tout a commencé pour lui dans sa région d'origine, en Ardèche, et s'est confirmé au lycée. C'est en effet dès cette époque qu'il a choisi ce chemin : "L'esprit de troupe me plaisait. En classe de première, je me suis dit que je ferai ça toute ma vie". Avant de devenir pro, il tournait déjà beaucoup et a accompagné une multitude de projets, sur le plateau ou à la technique.

Grenoble est arrivé un peu plus tard, quand il y a fait le Conservatoire, dont il est sorti son diplôme en poche, en 2008. Assister à un spectacle du Théâtre du Risque - alors connu sous le nom de La Troup'Ment - lui a permis de rencontrer nombre de ses amis d'aujourd'hui et, mieux encore, cette "famille de théâtre" avec laquelle il espérait tant pouvoir travailler. "J'ai commencé sur Après la pluie, en participant à la création du décor, se souvient-il. J'étais ravi de ne pas être qu'acteur. C'était naturel et ça l'est toujours aujourd'hui. On fait beaucoup de choses et, par exemple, j'ai travaillé sur la technique vidéo pour L'odeur des arbres". Sa première montée sur scène avec la troupe ? Il réfléchit et vérifie : c'était pour une pièce déjantée de Mohamed Rouabhi, Arnaques, cocaïne et bricolage, il y a eu pile dix ans cette année. Tout s'est arrêté progressivement en Ardèche et Florian a ainsi pu développer son réseau en Isère, en étant par ailleurs prof de théâtre. Inutile d'imaginer qu'il se contente désormais d'une seule activité : il aime jouer la comédie, bien sûr, mais ce gros bosseur se passionne réellement pour beaucoup d'autres choses que le jeu et, un temps, avait même mis en ligne le site Internet de sa compagnie. Il se réjouit de transmettre, aussi, et se montre heureux de pouvoir régulièrement rester dans l'ombre pour mettre en scène des amateurs passionnés ! Son travail avec une autre compagnie, l'Act'if Théâtre, installée à Jarrie...


Mais revenons à Enfin la fin ! Cette pièce, il raconte qu'il l'a découverte au retour d'un long voyage. Le Théâtre du Risque n'avait encore jamais produit de seul-en-scène. N'imaginez pas Florian enfermé seul chez lui à méditer sur la création ! D'emblée, il a vécu cette aventure en groupe, avec notamment Sébastien Geraci, son pote metteur en scène, et au moment où Honorine Lefetz, une amie comédienne, avait choisi Givrée"son" texte à jouer seule (ce dont j'espère reparler bientôt). "On a fait une lecture ensemble et quelque chose s'est déclenché. On a tout d'abord eu cette idée de monter un seul-en-scène par an et on a commencé à bosser sur les nôtres lors d'une résidence au Midi / Minuit. Le principe était bel et bien de choisir notre texte nous-mêmes, les comédiens, et de le jouer ensuite dans un même décor : une verrière où le public nous entoure". Les choses se sont enchaînées ensuite, avec Charles-Étienne Coly, Anthony Gambin et bientôt Anne-Claire Brelle. Florian les a appréhendées avec passion et aussi, inévitablement, un léger trac. "Oui, le soir de la première, c'était un peu flippant. Depuis que j'ai arrêté de fumer, je n'ai pas réellement de rituel avant de monter sur scène. En fait, je ne me formalise pas vraiment avant de jouer : on s'échauffe, on maîtrise sa respiration et on y va !"  Le comédien dit également pouvoir compter sur sa double capacité à vite apprendre et à très bien retenir des textes relativement longs. Deux qualités indispensables pour lui qui se juge perfectionniste et entend donc maîtriser ses répliques à l'intonation près : on imagine aisément combien cela peut être compliqué quand on se retrouve seul face aux spectateurs. Florian, lui, y aura pris un grand plaisir !

Derrière tout cela, évidemment, il y a de longues heures de travail en amont et de nombreux échanges pour caler la mise en scène. "Ce qui est cool, avec Séb, c'est qu'il admet que jouer est avant tout notre métier, assure Florian. Il a des idées instinctives et on peut lui en proposer plein d'autres. Lui travaille sur la scénographie et notre placement : il rend les choses cohérentes. C'est un atout très important pour les comédiens qui, parfois, peuvent être nuls... sans s'en rendre compte. Personnellement, j'ai besoin du reste de la troupe. De cette énergie qui circule entre nous. Les soirs où mon metteur en scène n'est pas dans la salle, il y a un truc qui me manque". De cette première expérience du seul-en-scène avec ce personnage qu'il a déjà incarné une quinzaine de fois, il pense dès lors tirer quelques enseignements utiles pour la suite de sa carrière. Le masque cynique tombe et laisse apparaître une nouvelle certitude : "J'ai appris des choses. Et je sais que je suis capable d'assurer. Ce spectacle, je suis chaud pour le rejouer, en mai comme prévu, mais aussi, si possible, dans des festivals cet été". Avant cela, d'autres projets devraient s'intercaler, comme des dates de La Tour de la Défense, avec le Théâtre du Risque toujours, le 11 février au Jeu de Paume (Vizille), le 18 mars à La Vence Scène (Saint-Égrève) et le 7 avril au Déclic (Claix). Autres prévisions : de nombreuses mises en scène, ainsi que quelques promenades théâtrales. Par ailleurs, Florian compte également travailler avec son frère pour faire connaître Cervante, une société de conception de décors numériques en 3D, évolutifs en temps réel. Ma conclusion : vivement 2022 ! Et ce n'est pas (uniquement) une private joke...

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