Charles-Étienne Coly : « Tu traverses mille émotions »

Je me suis vite laissé aller à la spontanéité et, exactement comme ses copains, je l'ai appelé "Charlie". C'est avec bonheur que je me rappelle ma première discussion avec Charles-Étienne. C'était il y a à peine plus de deux ans. Je venais juste d'arriver à Grenoble et n'avais que très peu de repères dans le monde du théâtre contemporain, en Isère ou ailleurs. Charlie m'avait contacté pour me proposer d'assister à une représentation de L'odeur des arbres, une pièce récente alors à l'affiche du Théâtre Prémol : "Nous offrons un apéro avant le spectacle, en présence de l'auteur". La promesse d'une soirée agréable !

C'est donc bien aux côtés de Koffi Kwahulé, venu lui de Paris, que j'ai vu - et apprécié - ce spectacle monté par le Théâtre du Risque, avec Charlie et plusieurs de ses amis de la compagnie grenobloise. Du théâtre contemporain décoiffant ! Depuis, il a su m'épater dans d'autres rôles et notamment dans celui de la comtesse de Pimbêche, improbable "créature" des Plaideurs, l'unique comédie de Racine. Un personnage haut en couleurs dont je reparlerai avec lui un jour, peut-être. D'ici là, pas de souci : nous avons pas mal d'autres sujets de conversation, à commencer par le fameux Mickey la torche...

Né sous la plume de Natacha de Pontcharra, auteure française sans lien connu avec l'Isère, ce - mystérieux - personnage de vigile n'a en apparence que très peu de points communs avec le comédien. C'est pourtant celui qu'il a tenu à choisir pour monter seul sur scène. Une grande première pour lui qui s'adonne également à d'autres formes d'expression artistiques (peinture, dessin, couture...) et que le théâtre fascine depuis l'adolescence, au point qu'il s'y forme "sur le tas". C'est avec ses potes, au lycée, que Charlie a fait ses premières armes... et toujours avec eux qu'il travaille désormais comme le professionnel qu'il est devenu. Pas d'atavisme familial derrière tout cela : "Je ne suis pas un fils de", a-t-il rigolé quand je lui ai posé la question de ce qui a pu faire naître sa vocation pour le jeu. C'est simple, en fait : le plaisir y était. D'ailleurs, ce n'est pas plus compliqué : il y est toujours et, mieux, ne demande qu'à grandir encore, au gré des rencontres et des spectacles. Plongé dans le noir de l'ancienne petite salle du Midi/Minuit, Mickey la torche, lui, était donc à Grenoble en mai, peu après la réouverture des lieux de spectacle. Sauf couac sanitaire, il sera à la Guinguette de Fontaine en janvier.

Mais comment avoir l'audace de jouer seul quand on n'a jamais réellement été formé à cela ? "Plus jeune, j'étais admiratif devant le jeu de Jacques Weber dans le film Don Juan, répond Charlie lorsque je l'interroge sur ses possibles références. J'aimais aussi Le péril jeune. Je mentais bien et je voulais vivre mille vies ! Avoir un boulot qui puisse me permettre de changer de peau tous les jours". Son amour de la langue, le comédien dit l'avoir ressenti grâce à la poésie, plutôt qu'au théâtre. Reste qu'une fois monté sur les planches, il n'en est jamais redescendu. "J'aimais l'époque où, avec les copains, on se payait des répétitions interminables jusqu'au bout de la nuit. Je dois avoir le record de morts dans les spectacles de la compagnie ! On est toujours allé vers un théâtre cathartique, qui fait un peu peur, avec des propos violents". Je peux toutefois confirmer que, loin des plateaux, le dénommé Coly est on ne peut plus accessible : je ne lui connais à vrai dire qu'un visage souriant. Découvrir son rôle dans Mickey la torche m'a d'autant plus impressionné qu'il l'incarne pour ainsi dire à contre-emploi. Après avoir longuement hésité, il aura tout simplement trouvé un personnage qui lui convient bien. Une très belle surprise.

"C'est un peu lié au hasard, mais pas vraiment, en réalité, explique-t-il après coup. La seule condition pour que nous créions ces solos, c'était de choisir un texte qui résonne en nous. Cela me tentait d'essayer et, après avoir lu une vingtaine de pièces différentes, je n'avais pas envie d'abandonner ou de remettre à plus tard. Je suis tombé amoureux de la poésie des mots qu'utilise Natacha de Pontcharra, parfois enfantins, mais qui sonnent vrais et littéraires à la fois. Oui, j'ai eu un véritable coup de cœur pour cette histoire et le moment de bascule qu'elle contient". Un enthousiasme partagé, ce qui l'a mis en confiance. Le fera-t-il évoluer vers autre chose désormais ? On verra bien, mais Charlie se dit déjà satisfait de cette expérience solo. "Tu traverses mille émotions. Au début, tu es dans les starting-blocks et tu as hâte que ça démarre. Ensuite, tu voudrais aussi que ça se termine vite. Et, une fois bien à l'intérieur, tu arrives à en profiter". Le comédien comprendrait parfaitement que, face à un tel récit, son public se sente mal à l'aise : il est bel et bien "en immersion", encadrant la scène de tous les côtés. "Il est alors clairement un soutien. Cela peut être assez perturbant, mais on voit vite les réactions des gens sur leurs visages". L'artiste se doit alors de rester concentré, sur son texte comme sur sa gestuelle. Et les deux sont ici des plus complexes ! Bref, d'ici aux représentations prévues début 2022, pas question de dire de l'interprète qu'il a cédé à la plus petite facilité...

"Je ne me permettrai de surprendre Sébastien, notre metteur en scène, en faisant autre chose que ce qu'il a prévu. Il est possible cependant que, lorsque nous reprendrons le spectacle, une partie de mes phrases sonne un peu différemment". Avant d'en juger, Charlie demeure confondant d'humilité et ne cesse ainsi de louer les grandes vertus d'un collectif soudé. "Bastien (Lombardo, un autre comédien attaché au Théâtre du Risque) m'a dit un jour que nous n'étions là que pour partager des histoires que nous aimons. C'est resté gravé en moi". Pour ne rien oublier d'important au moment de passer du temps sur scène, le comédien mise aussi sur ce qu'il appelle "la mémoire corporelle". Précis, l'ensemble de ses mouvements l'aide très concrètement à se souvenir de son monologue et à aimer "le personnage merveilleusement pathétique" qu'il défend. Extrêmement motivé, il se montre convaincu que ce rôle lui permettra de s'améliorer, d'enrichir sa pratique. Pas étonnant que les instants où, face au public, Mickey déballe ses pensées, souvenirs et frustrations soient d'une haute intensité. "C'est un être obsessionnel. Plus je le joue, plus je me dis qu'il est complexe. En fait, je ne le connais pas encore véritablement. Si je voulais prétendre le contraire, il faudrait d'abord que j'en ai parlé avec l'auteure !" Ce qui, dans la vraie vie, n'est pas arrivé. Ou pas encore, disons, car rien ne semble à exclure lorsqu'on se trouve face à un comédien qui se définit lui-même comme un grand amateur de performances. Fidèle en amitié, Charlie promeut une idée : "L'esprit d'équipe prime sur tout". Lui conseiller un texte, c'est presque lui faire un cadeau. Il l'admet sans forfanterie : "J'ai aussi besoin du regard des autres".

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