Anthony Gambin : « Un théâtre du récit »

En remontant le temps, je me dis que j'ai eu de la chance de voir Anthony jouer dans des registres extrêmement différents les uns des autres. Cela m'a permis d'apprécier tout à la fois sa grande énergie scénique et sa force d'interprétation. Derrière un titre pour le moins intrigant, sa prestation dans La soeur de Jésus-Christ m'a enthousiasmé, touché, bluffé. L'autre jour, rebelote : il m'a une fois encore surpris en me racontant que ce n'est pas au théâtre qu'il pensait faire carrière...


En 2009, deux ans après le bac, celui qu'on appelle Antho se voyait devenir... banquier ! C'est en accompagnant une amie pour une audition au Conservatoire de Grenoble qu'il a lui aussi passé un bout d'essai et, une fois admis comme elle, bifurqué vers un autre projet professionnel. "Je me suis formé auprès de Patrick Zimmermann et Muriel Vernet, indique-t-il. Quand j'ai commencé, je ne savais même pas qui était Marivaux et je n'avais encore jamais lu ni Molière, ni Shakespeare". L'anecdote est assez cocasse : on se souvient que, des années plus tard, le comédien jouera le rôle titre de Richard III. Avant cela, une fois obtenu son diplôme d'études théâtrales (DET) en 2012, il travailla déjà avec Sébastien Geraci, son ami et le metteur en scène du Théâtre du Risque, notamment pour Le Kid, une pièce de Marine Auriol dont le personnage principal est un joueur de poker. Il rejoint aussi la Compagnie des Sept Familles sur Un chapeau de paille d'Italie, œuvre d'Eugène Labiche. "C'était lancé", résume-t-il aujourd'hui pour parler de ces fameux premiers pas. D'autres engagements suivront, avec les mêmes partenaires parfois, et avec d'autres aussi. Certains l'accompagnent toujours en cette fin 2021...

Un millésime pas tout à fait comme les autres : le trentenaire a donc joué cette année son premier seul-en-scène. La sœur de Jésus-Christ, c'est d'abord pour lui un coup de cœur, qu'il a soutenu lors des réunions de Troisième Bureau, collectif artistique grenoblois. Il siège à son comité depuis désormais deux ans et rédige donc pour lui des fiches de lecture. "Bernard (Garnier, le directeur de Troisième Bureau) m'envoie des textes. J'ai en fait eu un coup de foudre pour celui-là, loin d'être unanime, d'ailleurs, certains estimant que ce n'est qu'un point de vue masculin sur un personnage féminin. Les avis étaient très tranchés. Moi, je trouvais que c'était bien que tout ne soit pas conforme aux bonnes mœurs et important d'utiliser la fiction pour créer la catharsis. Cette pièce, j'ai aussitôt su qu'on la jouerait. Un choix assumé". Anthony témoigne en outre de son plaisir à faire connaître l'auteur, l'Italien Oscar De Summa, qu'il a lui-même découvert et dont il apprécie le style particulier : "C'est un théâtre du récit. Ce mouvement n'est pas forcément très travaillé en France, et a fortiori dans le format du monologue. On peut le rapprocher de ce que fait Philippe Caubère depuis des années. Certains en ont un peu peur et jugent que c'est trop intello, voire ennuyeux. Avec La soeur..., on ne sait pas bien qui je suis, on est à la lisière du conte, et c'est cela qui m'intéresse". Un simple constat d'évidence : le comédien ne regrette pas de s'être autant investi pour défendre ce texte.


"Un solo, c'est chouette ! C'est à la fois un moment de solitude et de complète liberté. Bien sûr, c'est flippant, surtout pour moi qui ne suis pas encore parvenu à utiliser à bon escient les courts instants qui précèdent la montée sur scène. Il faut que je voie les gens, que je fasse des blagues. L'avant-spectacle est le moment le plus difficile, je trouve". Ce qui passe inaperçu ! Franchement, il aura fallu qu'il me le dise pour que je sois absolument convaincu : le soir de l'été dernier où j'ai vu Antho jouer La sœur de Jésus-Christ, devant le public - nombreux - du Festival de la Cour du Vieux Temple, j'ai admiré un type sûr de son sujet et qui, aussitôt après avoir salué, a rapidement su se fondre dans la peau des personnages de la pièce. "C'était flippant, oui, mais aussi galvanisant". Le comédien estime en réalité que son expérience paye, lui qui fait ce métier depuis une quinzaine d'années. Cette maturité artistique est à ses yeux un atout avant de relever le défi du seul-en-scène. "Après, je n'ai pas l'impression d'avoir fait un truc fou ou d'avoir eu à donner plus que d'habitude, confie-t-il. D'accord, tu testes une nouvelle façon de jouer, mais c'est différent quand tu te frottes aux rôles de Richard III, Tartuffe ou Peer Gynt. Là, tu sais que les gens vont te juger et, malgré la troupe, il y a une forme de pression. Seul, au contraire, tu fais ce que tu veux". Clairement, cette liberté est une aubaine pour Anthony, qui reçoit régulièrement des demandes pour rejouer cette pièce-là !

Cela lui fait plaisir, bien sûr, surtout qu'il se définit lui-même comme "un comédien de textes", plutôt que comme un corps apte à véhiculer des émotions par le seul mouvement. La sœur..., il l'a déjà incarnée plusieurs fois, en plein air, mais aussi en appartement. D'où son envie d'aller plus loin. "Jouer chez l'habitant n'est pas ce qui me tente le plus. Ce texte mériterait d'être programmé par de grandes salles". Les 3, 4 et 5 mars prochains, il le sera en tout cas... dans une petite, Le Poulailler du Monestier-du-Percy. Rendez-vous sera aussi donné au chapiteau du Théâtre du Risque, à Champ-sur-Drac, courant mai. Une double occasion de s'intéresser aussi à la mise en scène de Sébastien Geraci, discrète et à l'efficacité avérée. Antho ne tarit pas d'éloges sur son "vieux" complice : "Séb et moi n'avons pas forcément le même univers, mais je suis convaincu que nous avons la même exigence. On se connaît par cœur ! On sait ce qui plaît à l'autre et à quel point on peut lui faire confiance". Dans le cas évoqué aujourd'hui, les origines (italiennes) communes des deux garçons ont eu une importance dans l'approche d'une pièce qu'il a fallu légèrement raccourcir. Elle a favorisé le succès de cette nouvelle collaboration. Tout est allé très vite, finalement, pour celui qui se considère plus artisan qu'artiste : "J'ai toujours besoin de faire, de refaire, de chercher, de me tromper aussi ! Sébastien a eu l'idée de génie de me faire démarrer tambour battant, avant que le rythme se calme. Je suis sorti de tout cela admiratif du travail de mon ami ! C'est un métier cruel, metteur en scène. Quand une pièce fonctionne, le public se dit que c'est grâce aux comédiens, mais quand elle ne fonctionne pas, c'est toujours parce que le texte est mal choisi". Si c'est possible, Anthony, lui, se dit disposé à rejouer La soeur de Jésus-Christ plusieurs dizaines de fois. Cela précisé, pas question pour moi de négliger le reste de son travail : j'espère même pouvoir en reparler ici à l'occasion !

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