Et Amédée débarqua en Isère...

Ce n'est pas tous les jours que l'on peut découvrir une pièce de théâtre créée sur le sol africain. J'ai une bonne nouvelle pour les curieux que cela intéresserait : ce sera le cas dès aujourd'hui - et jusqu'à samedi - à Grenoble et dans les environs. Contactée par Fanny Fait, sa metteuse en scène, j'ai eu envie d'annoncer les représentations d'Amédée, une vie en mer. Autant vous le dire : je ne connaissais rien de l'œuvre originelle - une BD et un album jeunesse de Fred Bernard, auteur réputé pour son goût des récits de voyage et d'aventures. Ce que le spectacle à venir pourra sans aucun doute démontrer !


Présenté comme "un conte de comptoir" (si, si !) et porté par la compagnie À corps dissidents, Amédée... s'annonce comme l'adaptation théâtrale de L'homme bonsaï, opus paru aux éditions Delcourt en 2009. Le capitaine O'Murphy raconte aux buveurs d'une taverne sa rencontre maritime avec une créature mi-homme, mi-arbre : celle d'un malheureux potier embarqué de force sur un navire, devenu le souffre-douleur du commandant, et finalement abandonné sur une île déserte. En dire plus ? Je ne m'y hasarderai pas, ce que je sais du sujet se réduisant finalement à quelques fragments d'intrigue. Autant monter à bord sans se poser de questions... et apprécier dès lors deux comédiens que je n'ai jamais eu l'occasion de voir jouer jusqu'alors : le Français Félicien David et le Burkinabé Ablassé Sibri Zongo (connu sous le nom de Zabda). Les deux artistes connaissaient Fanny Fait, mais ils n'avaient pas encore eu l'opportunité de défendre un projet commun...

L'histoire de la constitution du trio mérite d'être racontée. Avant de créer Amédée... à Ouagadougou, c'est au Burkina Faso que Fanny et Ablassé se sont rencontrés. "C'était il y a dix ans et j'étais alors l'assistante du metteur en scène d'origine ivoirienne Moïse Touré, raconte la jeune femme. Cela n'avait pas donné lieu à un échange à proprement parler, mais Ablassé est ensuite venu en France régulièrement. Pour ce qui est de Félicien, on s'est connu en montant Le Gala, un numéro de clown que nous avions présenté au cours du festival du même nom, il y a quelques années. Les deux garçons se sont rencontrés dans un autre cadre. Finalement, je leur ai demandé d'embarquer dans mon projet et ils ont accepté". Leur association s'annonce d'autant plus prometteuse que c'est aussi leurs talents musicaux que les comédiens ont appris à conjuguer ! "Nous nous étions croisés lors d'un bœuf, souligne Félicien. On faisait de la musique pour le seul plaisir. C'est grâce à Fanny qu'on a commencé à travailler ensemble. Maintenant, on se retrouve donc sous sa houlette pour jouer de vrais personnages"...


Ablassé, lui, estime que ce projet, né d'une rencontre, a acquis "une certaine dimension". Il évoque la question du pouvoir qui est inscrite au cœur de la pièce et espère qu'elle pourra titiller la curiosité du public. "J'invite toutes et tous à venir voir ce qui se passe", dit-il avec enthousiasme. Il me faut admettre qu'en me parlant d'un conte différent des autres textes inscrits dans ce genre, Fanny m'a donné envie de découvrir ce dont il est question exactement. Même si notre échange s'est déroulé à distance et en visioconférence, j'ai senti la petite équipe impatiente de se frotter au public de l'agglo grenobloise. Sans trop savoir à quoi s'attendre au juste, mais acceptant volontiers l'idée que l'ambiance serait différente de ce qu'elle était lors des représentations à Ouagadougou. C'est assez logique : "Là-bas, on a beaucoup joué sur la langue du pays, le mooré, justifie la metteuse en scène. En France, on pourrait travailler avec un répertoire de chansons de marins françaises. Et on jouera entre les deux tours de l'élection présidentielle : ça aura forcément des conséquences sur la création". Je souligne que le projet est ancien et devait d'abord tourner avec une autre comédienne. C'était avant la crise sanitaire...

Quoi qu'il arrive désormais, les trois protagonistes pourront au moins se satisfaire d'être allés jusqu'au bout de leurs idées. Fanny s'en réjouit en tant que "fan de Fred Bernard" : elle dit qu'elle aurait souhaité adapter sa série autour du personnage de Jeanne Picquigny, avant que cet autre projet avorte, "
comme tant d'autres" en temps covidés. Félicien, lui, est heureux d'être parti en Afrique pour découvrir un environnement très différent de celui qui est le sien d'ordinaire. Pouvoir jouer dans des lieux aussi variés qu'un stade, un terrain vague ou un bar réservé aux expatriés ne l'a finalement pas dérangé. Bien au contraire : "Cela casse nos petites habitudes, notre confort, et, en même temps, c'est vraiment intéressant de pouvoir se servir de cette expérience par la suite". Ablassé, enfin, espère que tout cela n'est qu'un début et que ses amis reviendront au Burkina Faso pour lui prêter main forte à l'occasion du festival de théâtre jeune public qu'il veut organiser l'été prochain. Amédée, une vie en mer pourrait alors attirer le regard d'autres programmateurs des pays de l'Afrique de l'Ouest et servir d'exemple d'une bonne coopération entre des artistes venus de différents horizons. Une réussite au long cours, en réalité !

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Les prochaines représentations :

- à la Gelinotte Belledone (Revel) aujourd'hui à 16h00,
- au Midi / Minuit (Grenoble) demain à 20h00,
- à la Guinguette (Fontaine) vendredi et samedi, à 20h30.

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