Laëtitia Maitre : « Le théâtre comme une mini-société »

Pensez-vous comme moi que la culture et les arts ne peuvent guère se ranger dans de petites cases préformatées ? Franchement désordonnée, ma curiosité pour ce qui peut se passer sur les cimaises de nos musées, dans les coulisses des théâtres et bien sûr directement sur scène m'entraîne parfois sur des chemins peu fréquentés. Et c'est tant mieux ! Dernièrement, j'ai pris plaisir à découvrir un beau spectacle, Marco sur la route de la soie, sans m'inquiéter de la présence d'amateurs sur le plateau. Et j'ai échangé avec Laëtitia Maitre, la metteuse en scène, pour mieux apprécier sa démarche...


Premier constat : dans la jeune carrière de l'artiste, ce spectacle fait pour l'heure figure d'exception. Écrit et mis sur pied avec une visée humanitaire et en réponse à la commande de deux associations iséroises, Arménie Échange et Promotion et Femmes d'Himalaya, il a mobilisé 26 interprètes et un nombre important de techniciens : "C'est un gros projet humain avant tout, autour duquel a tourné une bonne cinquantaine de personnes au total, confirme Laëtitia. Il a mélangé les pratiques avec à la fois des musiciens, des choristes et des comédiens. J'ai même demandé aux comédiens de danser - un vrai effort pour eux ! Les âges des participants variaient beaucoup, de 11 à plus de 70 ans, ainsi que leurs origines et leurs parcours. C'était important pour moi que l'aspect artistique puisse ainsi réunir des gens très différents, comme dans une mini-société". En réalité, la jeune femme estime que rares sont les espaces qui permettent ces croisements dans nos vies quotidiennes.

Venue du social et de l'animation, Laëtitia espère contribuer à la lutte contre les préjugés. "Aujourd'hui, cette dimension sociale et l'envie de travailler avec la jeunesse se retrouvent au cœur de mon projet artistique", explique-t-elle. Elle n'a associé que peu de professionnels à la création de Marco, n'étant accompagnée que d'un régisseur, d'une musicienne clarinettiste et d'un chef de chœur. "Habituellement, les spectacles que je fais tourner ne sont pas ouverts aux amateurs. Il s'agirait plutôt de petites formes à destination du monde du social ou de la petite enfance, que je joue seule ou avec mon ami El Mehdi, comédien semi-professionnel qui, lui, a un autre travail à côté". En fait, si la metteuse en scène a accepté de relever le défi d'un spectacle plus grand, dans de vraies salles de spectacle, c'est aussi parce qu'elle a été sensible à sa dimension caritative. "Sans les deux associations venues me chercher, je ne me serais jamais lancée dans un si gros projet toute seule"...


Laëtitia se réjouit pleinement de cette belle opportunité, d'autant qu'elle a pu mettre en scène des pratiques artistiques qu'elle maîtrise moins que d'autres. Au cours des diverses représentations au Théâtre Prémol de Grenoble et à l'Espace culturel René-Proby de Saint-Martin-d'Hères, la compagnie En Jeu(x) !, qu'elle a créée il y a peu, aura gagné en visibilité auprès de plusieurs dizaines de spectateurs enthousiastes. D'autres dates devraient suivre au cours de la saison prochaine, mais elles ne sont pas encore fixées. À ce jour, la metteuse en scène a d'autres envies pour suivre la vocation théâtrale qui l'anime depuis qu'elle a sept ans ! Elle a fait ses débuts dans une troupe rhodanienne et, encore comédienne amateur, a notamment pu jouer au Théâtre de la Croix-Rousse. Le théâtre faisait toujours partie de sa vie personnelle quand elle a entrepris des études autour des métiers du social et de l'animation : "J'ai ainsi pu découvrir le théâtre-forum. Cela m'a beaucoup intéressée, en mélangeant tout ce que j'aime, en plaçant l'artistique au service du social. Or, après un séjour passé à l'étranger, on m'a proposé d'en faire avec des jeunes. Je me suis alors formée avec la compagnie Naje, spécialisée dans ce type de théâtre". C'est à l'époque qu'une rencontre lui a permis de créer la compagnie La Pagaille, toujours active dans l'agglomération grenobloise. En Jeu(x) ! est arrivée ensuite dans la vie de cette maman en solo - à partir d'août 2019.

"Si j'ai fondé ma compagnie, c'est aussi pour imaginer un spectacle pour ma petite, qui avait deux ans à l'époque. J'avais envie de créer des choses très accessibles aux tous petits" : Laëtitia entend justement placer cette notion d'accessibilité au cœur de tout ce qu'elle fait, notamment dans le cadre de spectacles joués ailleurs que dans une salle dédiée aux pratiques artistiques. "C'est vraiment une demande de ma part de jouer directement dans des crèches, des écoles, des centres sociaux ou des maisons des habitants. Partout où sont les gens qui, d'ordinaire, n'iraient pas au théâtre". C'est aussi pour cette raison que, par exception, elle est heureuse d'avoir présenté Marco à Prémol, une salle "qui s'investit beaucoup dans le quartier pour permettre à des personnes de venir au théâtre et, si ce n'est aux représentations, au moins à des répétitions publiques. J'ai rencontré des gens venus avec le Planning familial, d'autres qui étaient accompagnés par une association pour apprendre le français... l'idée est véritablement de donner un accès à la culture à des gens qui, habituellement, en sont très éloignés". C'est d'autant plus essentiel au moment d'évoquer de grands sujets comme l'écologie, l'égalité femmes-hommes, le sort des réfugiés ou les conséquences d'un génocide sur les générations futures. Sans volonté aucune de plomber le moral des spectateurs, bien sûr, et au contraire avec le sourire ! Mais aussi, l'air de rien, un certain sens de l'engagement citoyen.


En plus de ses spectacles pour enfants, Laëtitia en a conçu un sur le thème de la parentalité, Parents sans mode d'emploi. Elle laisse cependant aux autres la prétention de prononcer de grands discours moralisateurs. Son idée d'un théâtre démocratisé passe aussi par les cours qu'elle dispense sous l'égide de sa compagnie - y compris à de grands débutants. "Pour moi, le théâtre est au service d'une société plus intégrée, dit-elle quand on l'interroge sur une éventuelle dimension politique de son travail. Mais je veux rester humble : je ne suis qu'une minuscule goutte d'eau. Cela dit, pour les personnes avec qui je travaille comme pour moi-même, tout cela est également une vraie bulle d'air : on se rend vite compte que les gens ont envie de se rencontrer et que cela donne toujours des choses très fortes". Et est-ce que cela pourrait lui procurer l'envie de créer d'autres pièces destinées aux grandes salles ? "Oui, mais je considère que le chemin compte plus que le résultat". Exemple parmi d'autres de ses rencontres récentes : une personne qui avait fait un burnout et qui a repris confiance en elle en participant à la création d'un spectacle. "Je guide mes comédiennes et mes comédiens, oui, mais je trouve tout aussi bien de leur laisser faire des choix sur ce qui leur semble le plus juste et avoir un esprit critique sur ce qu'il joue".  Le plus important pour Laëtitia est de favoriser l'esprit de troupe. Et, même lorsqu'elle est seule, de demeurer dans cette logique de partage.

Ira-t-elle jouer jusqu'en Arménie ou au Zanskar, la région indienne dont il est question dans Marco ? Elle juge l'hypothèse comme un doux rêve, trop coûteux pour être réalisé - surtout avec une troupe telle que celle qu'elle a rassemblée le mois dernier. La jeune femme a toutefois l'âme voyageuse et, cette année, envisage une petite visite en Iran. "L'un des objectifs de Marco, au début, était de faire venir des Indiens pour participer à la fin du spectacle, avec les danses et les chants. Malheureusement, il y a eu des soucis avec les visas... et ça reste compliqué de faire des projets avec des artistes étrangers". Pas de quoi la couper dans son élan scénique : hier encore, elle donnait une représentation de Parents sans mode d'emploi à Pont-de-Claix, avant de le reprendre à La Rampe (Échirolles), dès le 3 juin prochain, et dans plusieurs centres sociaux des environs ensuite. Une autre tâche lui demande beaucoup de temps actuellement : la mise en place d'un spectacle avec les élèves de sixième du collège des Charmilles, à Grenoble, en conclusion des activités théâtre qu'elle a proposées sur place, tout au long de l'année scolaire. "La représentation aura lieu le 24 juin, ajoute-t-elle. C'est un challenge important qui implique des jeunes présentant des troubles de l'apprentissage ou du comportement". Au programme : un texte puissant et revendicatif, Il est encore temps, sur la thématique de l'effondrement climatique. De quoi susciter des débats ? Bien sûr !

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