Le Discours : et si on riait de nous ?

C'est l'histoire d'un mec : Adrien, 40 ans, quitté par sa copine et qui, malgré sa mélancolie, sacrifie au rituel du repas familial organisé par ses parents. Le brave garçon est là, à mille lieues d'imaginer que son futur beau-frère va en profiter pour lui demander de préparer un petit speech pour le jour du mariage. Déjà qu'il lui faut supporter une conversation insipide ! Comment rester zen alors que Sonia ne répond pas au pauvre texto qu'il lui a envoyé quelques minutes auparavant ? Cette histoire vous dit quelque chose ? Elle sent si fort le vécu que Fabcaro en a tiré un roman : Le Discours...


Pour ma part, je l'ai découverte au théâtre et grâce à Grégory Faive, qui a travaillé le livre pour le porter sur les planches. Ce qu'il s'apprête à refaire mardi prochain à Gières, salle du Laussy, et le 15 avril, à la salle des fêtes de Pont-en-Royans. Avec la complicité d'Anne Castillo placée dans la peau d'une Sonia fantomatique, le comédien veut donner au spectateur l'impression d'être branché sur le cortex d'Adrien. Le fait est que ça virevolte sévère, pour ne pas dire que ça cogite ferme ! Mais ce n'est pas grave : cette psychose amoureuse est riche en rebondissements... et souvent très drôle, aussi. Info importante : si vous la ratez ce mois-ci, vous pourrez toujours la rattraper en mai ou la saison prochaine (lire ci-dessous). Jugeant que l'interprète principal saurait vous en convaincre mieux que moi, j'ai posé mon micro et lui ai laissé la parole...

Grégory, on peut parler de la rupture amoureuse de différentes façons. Se montrer tragique, pathétique ou même vengeur. Dans Le Discours, au contraire, les propos du personnage prêteraient plutôt à rire...
Tout à fait. Dans les textes que je monte et dans les thèmes que j'aborde, sur scène ou lors d'ateliers organisés avec ma compagnie, mon idée est toujours de trouver la bonne distance pour traiter le sujet, qu'il soit tragique ou humoristique. Cette fois, j'avais vraiment une base de travail idéale, avec ce personnage qui se retrouve face à lui-même et qui, pour pouvoir le supporter, nous fait rire. Cela nous permet de nous identifier : à plus ou moins grande échelle, nous avons tous été dans cette situation où on attend des nouvelles de l'être aimé, en étant otage d'une famille qu'on aime dans le même temps. La question, c'est comment on se dépatouille de tout cela. Parfois, c'est avec de grandes névroses et beaucoup de difficulté, ou dans le marasme. Souvent, on trouve des portes, malgré tout ! Ce qui me plaît dans ce texte, c'est qu'il nous invite aussi à rire de nous. De nos petites lâchetés ou de nos encombrements. De nos faiblesses. De nos empêchements.

On rit plutôt du personnage qu'avec lui, en réalité...
En fait, le récit est construit de différentes façons : soit de manière à raconter au spectateur quelque chose dont il ne sait rien, soit en l'invitant à écouter quelque chose qu'il va sans doute reconnaître. On peut rire avec Adrien, quand il revient sur les accidents ou petits tracas qu'il a eus. L'écriture permet de savoir immédiatement de quoi on parle et de savourer...

Ce texte, comment l'as-tu découvert, personnellement ?
Grâce à l'émission Le Masque et la Plume, où une journaliste l'avait présenté comme un conseil de lecture à la fin d'une émission, en janvier 2019. La manière dont elle a parlé du roman m'a donné envie de le lire : je suis donc allé l'acheter dès le lendemain. Et j'ai aussitôt vu un spectacle ! D'abord pour la construction, mais aussi pour la façon dont il est écrit. Je ne peux pas dire que je me suis identifié à Adrien. En revanche, je me suis reconnu dans la manière d'écrire et d'agencer les phrases pour raconter cette histoire. J'avais l'impression que le personnage était dans ma tête. Et le fond m'a fait rire...


Restons un court instant sur la forme, si tu veux bien. Le texte n'est pas très long, mais il est assez dense. Peux-tu m'expliquer comment tu as procédé pour le porter sur scène ? En impliquant l'auteur ?

D'abord, j'ai bien sûr contacté Fabcaro pour en avoir l'autorisation. Cela n'a pas été simple, parce qu'il n'est pas le seul à décider : il a aussi fallu convaincre son éditeur. Or, le livre a été immédiatement proposé pour une adaptation en film et quelqu'un avait déjà acheté les droits pour un spectacle à Paris. Avec l'auteur, en fait, les choses ont été assez simples : il m'a demandé ma note d'intention sur le projet et il a voulu voir mon adaptation. Il a alors accepté...

Partant de là, en quoi a consisté ton travail ?
Avec Anne Castillo, on a commencé par beaucoup lire le roman, à voix haute. Dans un premier temps, on en a cherché la structure pour voir si elle pouvait également être celle de la pièce. Il nous est vite apparu que le texte était construit en une succession de vignettes, comme autant de rendez-vous. Une alternance de séquences : un chapitre pendant ce fameux repas, un autre pour un souvenir de la relation amoureuse ou de sa famille, un autre encore relatif à l'attente du SMS. On a essayé de garder cette structure de narration, en enlevant certains chapitres qui s'enchainaient sans lien véritable avec le précédent. On a essayé de conserver aussi les petites métaphores qu'Adrien utilise tout au long du récit et qui apportent de la saveur à des moments inattendus. Quand un passage nous faisait rire, on s'arrangeait pour le garder. Quand le texte se répétait, on en a gardé qu'une version. Il a fallu faire des choix et on a en quelque sorte obtenu le roman, en plus court.

Il y a eu un travail sur la langue elle-même ? 
Oui. Le texte initial est écrit au plus-que-parfait et, pour le rendre plus actuel, on l'a mis au passé composé. Cela permet d'être plus direct en m'adressant au public. Voilà pour le gros du travail ! Ensuite, il a fallu chercher la fluidité de la langue orale, en retirant quelques passages trop littéraires, en simplifiant certains extraits, en retirant des répétitions dans des phrases trop longues...

Je m'étais imaginé que c'était plutôt un travail de soustractions que d'ajouts. Tu confirmes, donc ?
Lire le roman de la première à la dernière page prend six heures : il fallait parvenir à le retranscrire en une heure et demie ! Les ajouts sont rares : les seules choses que j'ai ajoutées et qui ne sont donc pas dans le texte originel sont les résumés de passages retirés, qui peuvent donner lieu à de petites impros. Cela est bien présent, donc, mais d'une autre manière. Par exemple, dans le texte, il y a tout un passage où Adrien hésite à choisir un chocolat. J'ai préféré le jouer...


Sur scène, tu t'appuies aussi sur ton amie Anne Castillo, qui rappelle Sonia, la fille dont Adrien attend le SMS...

Oui. Anne intervient pour changer le décor : cela correspond en effet aux présences de Sonia. C'est important pour moi qu'il y ait quelqu'un d'autre dans un solo. On travaille en équipe, à trois ou quatre : le son et la lumière viennent eux aussi apporter leurs idées. Pour Le Discours, je n'oublie pas le rôle déterminant du scénographe, qui a proposé un espace de jeu adapté à la situation - ce qui a induit une grande partie de la mise en scène.

Je te parlais d'Anne, parce que c'est une vraie comédienne. Pas seulement une fille qui passe par là...
Il fallait effectivement qu'elle ait le sens du rythme et sache bouger ! Elle sourit, a des regards succincts... c'est très léger. On pourrait jouer le spectacle sans elle, mais je pensais qu'il était important que la personne en charge des mouvements ait un peu plus qu'une simple technique. Si tu dis que ça marche bien, c'est super !

Sur l'aspect technique, justement, c'est vraiment de la dentelle. Tu ne laisses pas de place au hasard...
Assez peu, en effet. Il n'y en a qu'une toute petite dans les interactions avec le public : parfois, sans aller jusqu'à parler d'un talent d'improvisateur difficile à mettre en œuvre pour moi, le plaisir que j'ai à rebondir sur ce qui se passe prend le dessus. Je vais donc m'en servir. Pour le reste, tout est millimétré : chaque geste est choisi, même s'il ne sera jamais effectué de la même manière, et tous les objets sont sélectionnés avec attention. Les tonalités de lumière, les transitions, les sons... tout est défini. Après les premiers filages, on a retiré, réduit ou affiné beaucoup de choses !

Cela doit aussi nécessiter un grand travail d'adaptation quand, en tournée, tu passes d'une scène à l'autre...
En effet, ce n'est jamais la même chose ! Quand on crée le spectacle, on prévoit ce qui nous paraît le plus important et le mieux pour nous. Après, dans chaque salle, on regarde ce qu'on va pouvoir garder : c'est à ce moment-là qu'on connaît les éléments sur lesquels on ne peut pas faire de concession - ce qui détermine ensuite les adaptations. Cette fois, dès la conception du spectacle, on savait qu'on jouerait dans tous les types de lieux. On connaissait donc le minimum de ce qu'on pouvait donner. Ensuite, on voyait ce qu'on pouvait ajouter. C'est plutôt bien, quant ça va dans ce sens. C'est rassurant pour la mise en scène, aussi, mais, avec le temps, on se dit qu'il est toujours possible de trouver des solutions...


Le spectacle a déjà pas mal tourné. As-tu rencontré des réactions inattendues, du côté du public ?

Oui... et c'est toujours le cas. Je suis personnellement très sensible au rythme du spectacle. Très attentif aux creux et aux bosses. Je compare souvent le spectacle à une route : j'essaye d'identifier ce qui est toujours là et les virages dangereux. J'anticipe les moments de descente, qu'ils soient nécessaires à l'attention du spectateur ou, au contraire, dus à une lacune dans notre travail - ce que l'on ressent bien dans la confrontation avec le public. On peut alors se questionner au sein de l'équipe. Assez classiquement, il y a toujours des endroits où on était sûr que les gens rigoleraient... et ce n'est pas le cas ! D'autres où on a une réaction qu'on avait pas du tout prévue ! En général, quand cela arrive, cela nous éclaire sur ce qu'on est en train de faire. Cela nous explique quelque chose du spectacle qu'on n'avait pas compris : j'aime bien ça ! 

Et quand il n'y a pas de réaction là où tu en espérais une ?
Deux solutions. Soit on a été orgueilleux : on s'attendait à ce qu'il se passe quelque chose, alors qu'il n'y a aucune raison qu'il se passe quoi que ce soit. Soit on n'a pas encore tout à fait trouvé le bon rythme ou le bon jeu ! C'est un défi. Petit à petit, on identifie ce qu'il faut faire. Dans ce spectacle, par exemple, je sais qu'il y a des choses qui ne faisaient pas rire au début : je me suis accroché ! J'ai dit à l'équipe qu'on allait trouver le sens et y arriver. Ce sont des choses qui se passent...

Après ces très longs mois de crise sanitaire, comment sens-tu le public, aujourd'hui ? On a pu dire que son soulagement serait une petite bénédiction pour les compagnies de théâtre...
Je sens une gourmandise. Un plaisir de partager ! J'ai la chance, actuellement, de jouer dans deux spectacles où le public vient, est heureux d'être là et nous porte ! C'est vrai que ces deux spectacles, Le Discours et Harvey - la pièce écrite par Mary Chase, traduite par Agathe Mélinand et mise en scène de par Laurent Pelly - sont à forte teneur humoristique et poétique. Aujourd'hui, il y a une demande importante pour ce genre de choses : c'est ce que l'on ressent sur scène et aussi ce que le public nous dit à la sortie. Les gens nous remercient de leur apporter de la joie. J'espère que cela va durer !

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Les prochaines représentations du Discours...
- à la Salle du Laussy de Gières le 12 avril (20h30),
- à la Salle des Fêtes de Pont-en-Royans le 15 avril (20h00),
- à l'Ilyade de Seyssinet-Pariset le 10 mai (20h30),
- au Quai des Arts de Rumilly le 12 mai (20h30)...
- ... et d'autres lieux espérés la saison prochaine.

NB : Grégory est à la tête de la compagnie Le Chat du Désert, qui présentera les 18 et 19 juin prochains un spectacle déambulatoire, On n'a toujours pas retrouvé de baleine au fond du Lac de Paladru, conçu pour la réouverture du Musée archéologique présent sur le site. Je lui ai proposé d'en reparler : il se peut que cela se concrétise d'ici quelques semaines.

Le dernier mot est un double merci...
Il s'adresse à Grégory, pour sa disponibilité, ainsi qu'à Pascale Cholette, l'auteure des photos qui illustrent cet article.

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