Nicolas Hubert : « Le premier regard d'un enfant »

Danse, nom féminin : forme d'art vivant, mode d'expression éphémère constitué de séquences de mouvements de corps dans l'espace souvent accompagnés par de la musique. Évidemment, tout est beaucoup plus limpide avec un dictionnaire sous les yeux. Mettre des mots sur les chorégraphies que je peux découvrir n'est pas ce que je fais avec le plus de facilité. Pour autant, c'est avec grand plaisir que j'ai assisté à une représentation de D(u)o it yourself, la dernière création en date du tandem Giulia Arduca / Nicolas Hubert. Un plaisir ensuite prolongé d'un échange très intéressant avec l'artiste isérois...


Ce spectacle est le quatrième que Nicolas joue avec sa compagne à la ville : "Giulia et moi avions envie de nous retrouver tout en étant tous les deux danseur et chorégraphe, dans un projet porté par nos compagnies respectives. Notre idée première était de créer un univers commun, sans que l'un de nous soit plus mis en avant que l'autre". Pour ce faire, les deux complices ont voulu réfléchir à une certaine forme de simplicité, voire de sobriété théâtrale. Le décor, les costumes et le matériel scénique venu du monde extérieur ont ainsi été réduits au maximum, dans une logique de "table rase" et d'appropriation du lieu de représentation tel qu'il se présente, sans fioriture. Le duo s'est mis au travail à partir de l'automne 2018. "Initialement, la pièce était plutôt prévue en 2020, mais nous avons eu un enfant : cela a retardé l'échéance, sourit Nicolas. Nous avons eu beaucoup de temps pour réfléchir, discuter, essayer certaines choses ou revenir en arrière..." : du pur bonheur !

Le chorégraphe croit bon de s'imprégner de son environnement immédiat pour dessiner ses futurs pas - dans l'espace public, notamment. J'ai découvert D(u)o it yourself au Théâtre 145, un lieu qu'il connaît bien et apprécie particulièrement pour y avoir été souvent accueilli en résidence, en qualité d'artiste associé. Reste que, cette fois, il ne voulait pas s'appuyer sur son expérience, mais retrouver une forme de virginité : "On peut parfois avoir l'impression de tout connaître d'un théâtre occidental, soit qu'on ait déjà joué dans un lieu qui nous accueille une nouvelle fois, soit qu'on en ait étudié la fiche technique. Dans cette pièce, nous avons voulu aborder l'endroit comme un lieu que nous ne connaissions pas, à partir de protagonistes qui pourraient même ignorer à quoi sert un tel endroit". Les intéressés surprennent déjà en arrivant de la salle, dans le dos des spectateurs : "Le fantasme de ce que serait le premier regard d'un enfant, qui jouerait avec le théâtre. Et le détournerait"...


Sobre, la danse se fait alors ludique. Et le spectacle accessible à tous : "Nous nous sommes assez vite dits que la pièce devait aussi s'adresser au jeune public". Pas question pour autant de relâcher la tension créative : "D'accéder à la simplicité s'avère toujours la chose la plus compliquée, assure Nicolas. Ce n'est qu'après de longues décennies au travail qu'un artiste parvient à épurer son écriture. Faire simple et éviter de se laisser porter par la complexité demande de fait beaucoup d'efforts". Pour que le poids ne repose pas que sur les épaules de Giulia et les siennes, le chorégraphe-danseur s'est également fié aux réactions de ses techniciens - Pascal Thollet au son, Marc Richard à la lumière - et a fait appel à un ami dramaturge, Henrique Furtado, venu de Lisbonne, pour un autre ressenti : "Lui a compris que la potentielle richesse de notre propos résidait dans le dépouillement, quand nous pouvions être tentés d'en faire davantage. Tirant quelques leçons d'un spectacle précédent, je l'ai fait intervenir plus en amont. Être aidés, c'était d'autant plus important pour Giulia et moi que nous sommes en couple. Avoir un regard extérieur à cette bipolarité apporte un peu d'arbitrage, aussi, quand on ne trouve pas de consensus".

Nicolas souhaite surtout ne pas réduire son expression à quelque chose de simpliste. L'artiste a vu trop de spectacles "gnangnans" sous prétexte qu'ils étaient censés s'adresser aux enfants : "Parfois, les adultes sont à côté de la plaque. Surtout, ne sous-estimons pas le regard des plus jeunes, ni même leur pouvoir d'abstraction ! Giulia et moi avons pu constater que les enfants nous suivaient, même dans les passages sans musique ou dans l'obscurité, et qu'ensuite, les moments passés à répondre à leurs questions étaient riches". Nicolas, qui avait pratiqué les arts plastiques, savoure ce contact direct avec le public. Pas étonnant : son style, volontiers parsemé de petites touches d'humour, semble parfois défendre l'idée que nous sommes toutes et tous un peu danseurs, d'une certaine manière. "Le côté égotique de la discipline m'ennuie beaucoup ! C'est peut-être mon parcours qui explique que la danse a toujours été pour moi un jeu et une source d'émerveillement. Je vois le corps comme un objet expérimental plutôt que comme un outil qu'il faudrait travailler chaque jour de manière orthodoxe". L'artiste confirme par ailleurs que D(u)o it yourself peut être adapté à des salles très diverses. Lorsqu'il détourne de leur usage premier le plateau et les autres outils mis à sa disposition, il espère que sa chorégraphie ouvrira de nouveaux champs poétiques. Cet audacieux pari est aussi, de mon très subjectif point de vue, relevé avec éclat.

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Les prochaines représentations :
- à l'Amphi de Pont-de-Claix le 5 avril (séance scolaire) et le 6 avril,
- au Pot au Noir de Rivoiranche / Saint-Paul-les-Monestier le 9 avril.

Mais aussi...
Nicolas Hubert reprend son spectacle précédent, Espace pudique (& angles morts), à l'Espace Scénique Transdisciplinaire de Saint-Martin-d'Hères, le 2 mars (accès gratuit sur réservation). Pour partie biographique, cette autre pièce est un must !

Et enfin...
Je remercie chaleureusement Pascale Cholette de m'avoir proposé les deux photos qui illustrent mon article d'aujourd'hui.

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