Charlotte des Georges : la maternité triomphante ?

Ses activités sont si nombreuses que vous la connaissez peut-être, pour l'avoir croisée à la radio, à la télé ou au cinéma. C'est sur les planches du Théâtre en Rond, à Sassenage, que Charlotte des Georges débarque vendredi pour un spectacle en solo, La Reine des abeilles, qui parle - avec humour - d'un sujet qu'elle connaît bien : le désir d'avoir un enfant. Un désir que la comédienne indique avoir eu tardivement et qui, de son propre aveu, s'est transformé pour elle en véritable quête. L'idée est aujourd'hui d'en rire avec elle, ce que j'ai fait il y a tout juste quelques jours... non sans avoir branché mon micro !


Charlotte, bonjour. Vous parlez de votre envie d'être maman comme d'un parcours initiatique, une douce folie...

Le spectacle est une sorte de road movie hormonal ! Comme beaucoup de filles de ma génération, j'ai fait des études, travaillé, fait la fête... sans voir le temps passer. Être maman était sans doute le truc qui me faisait le plus peur au monde. C'est là que les choses deviennent intéressantes - pour moi, en tout cas. Seulement, quand j'ai voulu me lancer, mon corps de femme n'était plus aussi vaillant. J'ai donc dû faire avec toutes ces démarches complètement folles et me rendre compte que je n'y arriverai peut-être jamais.

Ce désir d'enfant, l'aviez-vous ressenti plus jeune ?
Ayant perdu ma mère à l'âge de sept ans, c'est quelque chose que j'avais "mis de côté". Cela me terrorisait. Je croyais ne pas être capable ou quelque chose comme ça. Je me suis alors retrouvée sur la même route que celles et ceux pour qui c'est difficile, qu'il s'agisse de personnes homosexuelles, toutes seules ou éprouvant des problèmes de fertilité.

Vous citez un slogan des années 70 : "Un enfant, c'est seulement si je veux et quand je veux". Ce n'est donc pas si simple...
Non. "Quand je veux", ce n'est pas vrai ! Un spécialiste de la PMA (procréation médicalement assistée) a écrit un bouquin sur le sujet et ajoute toujours "... mais pas trop tard". En fait, il y a tout bêtement un truc qu'on appelle l'horloge biologique. Après, oui, certaines femmes tombent enceinte très tard - et cela fonctionne très bien ! Pour d'autres, c'est plus complexe. Peut-être que je faisais partie de cette seconde catégorie...

Une fois le désir revenu, vous avez donc étudié toutes les possibilités de devenir maman ? Dans un ordre déterminé ?
Je me suis aperçue que ça allait être compliqué. Oui, j'ai fait tout ce qui est hormones et compagnie, congélation... et en plus, j'étais célibataire ! J'ai entrepris tout cela avec mon meilleur ami - mon meilleur ex, comme on dit. C'est un parcours à la fois drôle, où l'on se retrouve dans plein de situations totalement ubuesques, et tragique. Tous ces événements donnent d'excellents ingrédients pour un spectacle : cela touche le genre de maman que je serai, le genre de père que l'autre sera. On est ensemble sans l'être vraiment et on se demande si ça ne serait pas plus fort qu'avec quelqu'un dont on est tombée amoureuse, mais qu'on pourrait désaimer du jour au lendemain.

D'où d'autres questionnements sur la famille, je suppose...
Oui. Cela questionne vraiment beaucoup de choses et je pense notamment aux nouvelles manières de "faire famille" que l'on voit apparaître aujourd'hui. En jouant le spectacle, je me suis rendue compte que beaucoup de gens, y compris de ma génération, étaient nés de PMA et l'avaient parfois appris tardivement. Je n'imaginais pas que ce soit autant ! Il y a aussi plein de femmes qui ont du mal à tomber enceinte, pour différentes raisons, et qui sont lancées dans tout ce parcours...

Êtes-vous partie à leur rencontre pour parler de ces sujets ?
Il y a effectivement mon propre parcours, mais j'ai fait aussi beaucoup de recherches et interrogé des gens autour de moi. Des filles proches de la quarantaine, qui n'avaient pas encore d'enfant et avaient congelé leurs œufs au cas où elles finiraient par tomber sur la bonne personne - il y en a un certain nombre ! Aujourd'hui, l'ouverture de la PMA pour toutes les femmes, y compris célibataires ou homosexuelles, fait que beaucoup de filles seules se lancent là-dedans pour ne pas passer à côté de la maternité. Et même si elles n'ont trouvé personne pour fonder une famille. 


Ce sont des sujets sérieux, mais vous avez visiblement choisi d'en rire...

Absolument. Parce que c'est ma nature, déjà ! Ce qui marche très bien dans le spectacle, c'est qu'on apprend beaucoup de choses : beaucoup réalisent ce par quoi on passe, nous, les femmes. En même temps, on rit : quand il s'agit pour un homme d'aller se masturber dans un pot pour faire une insémination artificielle ou pour une femme, bourrée aux hormones, d'avoir des sautes d'humeur impossibles. Il faut voir aussi comment la médecine vous "traite" ! Il y a également des moments où l'on a envie de se pendre ! J'ai donc choisi de faire un petit pas de côté pour rendre cela drôle.

Ce que je trouve intéressant, c'est que vous interprétez plusieurs personnages, sans partenaires de jeu à vos côtés...
À un moment, on avait pensé intégrer un comédien qui jouerait le rôle de Roch, le "meilleur ex" avec lequel le personnage se lance dans toute cette aventure. Et puis finalement, au cours des répétitions, on s'est aperçu que tout fonctionnait bien comme cela ! Je joue donc tout à la fois Roch, les membres de ma propre famille dont le regard n'est pas simple à gérer, mon gynécologue, ma meilleure amie... et il me semble que cette façon de faire rend la quête plus forte pour le public.

Vous avez cependant choisi une femme pour la mise en scène et il y en a beaucoup d'autres dans la distribution technique...
Oui. J'ajoute que le spectacle est coécrit avec Nathalie Hertzberg, qui est scénariste de cinéma, à la base. Marie Guibourt, ma metteuse en scène, a très tôt fait le choix de ne pas avoir d'enfant. Quand elle a reçu le texte, elle pensait que le sujet ne la toucherait pas, mais elle était bouleversée, estimant qu'il y avait quelque chose d'universel dans cette envie de donner la vie. Elle a donc choisi de m'accompagner dans ce projet, avec une très belle mise en scène, fine et singulière. C'est également une excellente directrice d'acteurs ! Lucie Joliot, à la scénographie et à la lumière, a fait de la dentelle ! Nous avons un garçon à la musique : François Peyrony.

Je trouve important de bien préciser que les hommes ne sont pas exclus de votre spectacle...
Non, ce n'est pas le sujet ! En général, d'ailleurs, ils l'adorent...

Plus que les femmes ?
Non, mais on aurait pu penser que les femmes y soient plus sensibles. Et en fait... pas du tout ! C'est sans doute agréable pour les hommes de découvrir, en petites souris, ce à quoi ils n'assistent jamais, finalement. 

Vous avez déjà évoqué vos rencontres AVANT le spectacle. Et depuis qu'il tourne, avez-vous également d'autres femmes et d'autres hommes pour en reparler ?
Oui. Quand je l'ai créé à Avignon, une famille est venue me voir, dont les enfants étaient nés d'une PMA. Ils s'étaient assis au premier rang, à 7 et 9 ans, avec leurs parents, et m'avaient attendu à la sortie, ce qui était assez émouvant. Dernièrement, j'ai joué à Dijon et des grands-mères m'ont parlé de la souffrance de leurs filles dans cette situation et m'ont dit qu'elles étaient touchées que j'en parle de cette façon. Autres anecdotes : un jour, j'ai vu un homme, qui doit bien avoir dans les cinquante ans aujourd'hui, issu de PMA dans les années 70 et qui ne connaît pas son père, ou une femme lesbienne qui a eu des enfants de cette façon. Cela touche vraiment toutes les couches de la société. Et les deux sexes !

Il y a donc toutes sortes de façons d'être mère...
Exactement ! Toutes sortes de façons d'essayer de "faire famille", je dirais.


Y a-t-il un geste militant de votre part ? Que toutes les femmes puissent devenir mère est-il une cause, pour vous ?

Je ne le dirais pas ainsi. Je peux aussi comprendre celles qui renoncent. Et je me dis juste qu'on n'est pas trop de deux pour avoir un enfant ! C'est dur d'être seule, ensuite, dans la vie d'après, et c'est quelque chose qu'on ne mesure pas forcément au moment où le désir d'être maman est aussi fort. Peut-être que les femmes ne parlent pas assez de cette difficulté. Cette bataille pourrait faire l'objet d'un autre spectacle...

J'ai le sentiment qu'un certain tabou existe encore autour de ces questions, comme si la société et les droits des femmes n'étaient pas encore tout à fait établis...
C'est vrai, mais en même temps, la société est toujours en avance sur ses lois. Beaucoup d'enfants sont nés comme ça depuis très longtemps et n'ont pas attendu qu'une loi existe. Certes sont aujourd'hui des adultes, ont été très bien élevés et vont très bien. Pour moi, en tout cas, cela n'a jamais été une interrogation. Si les gens ont peur de certaines choses, c'est simplement qu'ils ne les connaissent pas. C'est aussi bête que ça ! Et si le seul fait d'être un homme et une femme était la garantie du bonheur, ça se saurait !

J'aurais voulu terminer en vous laissant parler de vos projets...
Il est fortement question que La reine des abeilles soit adapté en film unitaire ou en série : c'est en cours de négociation. Je ne peux pas parler d'autre chose pour l'instant. Avec les contrats en cours de signature, je suis un peu superstitieuse...

Je sais toutefois que vous faites de la scène, de la télé, du cinéma et de la radio. Une préférence dans tout cela ?
En fait, quand j'ai commencé ce métier, j'ai vite compris que, si je ne faisais pas les choses par moi-même, j'allais beaucoup attendre derrière mon téléphone... et ce n'est pas vraiment ma nature ! Je me suis donc mise à écrire, à faire des seule-en-scène, de la radio, une série pour la télé, etc. J'aime être à l'origine des projets et être auteur-interprète me plaît beaucoup. Un jour, j'aimerais passer à la réalisation, même si, comme être maman, c'est sans doute la chose qui me terrorise le plus ! C'est probablement cette peur de ne pas être à la hauteur qui fait que c'est vers cela qu'il me faut aller...

Un dernier mot sur le Théâtre en Rond de Sassenage, où vous jouerez vendredi. Vous y êtes déjà venue ?
Non. Je sais qu'il nous faudra légèrement adapter notre scénographie à sa configuration particulière. En tournée, c'est toujours très intéressant de jouer dans des lieux très différents les uns des autres, en s'adaptant à la taille et à la forme des plateaux. Cela nous sort d'une zone de confort et nous oblige à nous réinventer. C'est vraiment agréable pour moi ! Et ce d'autant que, jusqu'à présent, les publics que j'ai rencontrés ont été extrêmement chaleureux.

Et ensuite, vous continuez ?
Oui. Après Le Bourget du Lac jeudi et donc Sassenage vendredi, nous retournerons à Avignon, puis à Paris en septembre. Après avoir été un peu interrompu par le Covid, on va dire que c'est un spectacle résilient : il a tout de même une belle vie ! 
 
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Deux précisions pour finir...

- je ne vous dis pas si Charlotte a fini par devenir maman : elle préfère garder la surprise pour le spectacle...
- les photos qui illustrent cet article sont l'œuvre de Sven Andersen, que je remercie de me les avoir fournies.

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