Hommes, femmes : mode d'emploi

Une fois n'est pas coutume : je ne compte pas vous parler aujourd'hui d'un spectacle à venir dans l'agglomération grenobloise, mais d'une pièce qui sera bientôt jouée à Lyon, après une précédente présentation publique dans un village de l'Ardèche. C'est par le biais de ma page Facebook que j'ai été contacté par Jean-Malik Amara, qui s'est présenté comme l'ancien élève d'un de mes amis comédiens. Il m'a permis de découvrir La Supercherie Réciproque. Un grand plaisir.


Avant nos échanges, j'ignorais tout de cette œuvre théâtrale, publiée en 1768 par une certaine Françoise-Albine Benoist. Avec ses complices Léna Genin et Guillaume Douat du collectif Les Herbes Folles, Jean-Malik a lui-même pu la connaître par l'entremise d'Aurore Evain, actrice, metteuse en scène et historienne du théâtre. Les Assises de la transmission théâtrale ont servi de cadre aux trois amis pour une première rencontre avec cette chercheuse, connue comme autrice d'une anthologie du théâtre de femmes de l'Ancien Régime (en cinq tomes !). Fascinés, Léna, Jean-Malik et Guillaume sont alors tombés d'accord pour suivre un premier axe de travail commun, visant à réhabiliter les autrices invisibilisées. "C’est avec engouement et détermination que nous voulons lever le voile sur leur existence, les faire (re)découvrir et motiver l’étude et la mise en scène de leurs pièces. Notre objectif ? Faire renaître le matrimoine", écrivent-ils dans la note d'intention de leur spectacle. Si tout se passe bien, La Supercherie Réciproque pourrait n'être que le premier des textes qu'ils joueront. Le corpus remis en lumière par Aurore Evain est en tout cas large, qui couvre toute la période du 13ème au 18ème siècle...


J'ai eu la chance d'appréhender ce très intéressant sujet grâce à une captation vidéo fournie par Jean-Malik. Il est évident que la caméra et les choix de montage orientent le regard là où, spectateurs au théâtre, nous conservons une liberté totale pour observer tel ou tel personnage, élément de décor ou même voisin de fauteuil. Si, de fait, je n'ai pas eu les coudées aussi franches cette fois, c'est d'abord parce que je n'avais pas d'autre solution pour appréhender le travail des Herbes Folles avant d'en parler sur le blog. Pas grave : ce que j'ai vu m'a suffisamment interpellé et convaincu de la grande qualité de ce même travail pour vous recommander de le découvrir à votre tour sur les planches du Théâtre des Marronniers, hôte de la compagnie à partir de lundi prochain. Un petit mot sur le sujet lui-même ? Rosalie, une jeune femme d'origine modeste, a été adoptée par un comte et apprend la musique avec le bien nommé Diapason, qui lui voue un amour secret. L'une et l'autre vont alors mentir sur leur condition véritable pour mieux s'attirer les bonnes grâces de leur soupirant(e). Autant l'écrire : portée par une langue ancienne délicieuse aux oreilles, la comédie en un acte de Françoise-Albine Benoît s'avère d'une drôlerie de nature à séduire un public élargi, quel que soit d'ailleurs son avis sur le féminisme contemporain. Mission accomplie pour les trois artistes qui s'agitent sur le plateau et y témoignent d'une énergie communicative. Bravo !


Il me paraîtrait désormais hasardeux d'en dire davantage sur la mise en scène, au risque de gâcher le plaisir de la surprise et/ou de mettre en avant certains de ses aspects qui auraient finalement été ajustés avant les représentations à venir. Simplement, je veux souligner qu'il y a bien trois comédiens pour jouer... six rôles différents. C'est avec une jubilation certaine que j'ai vérifié que Léna, Jean-Malik et Guillaume se tirent admirablement de cette - supposée - contrainte. Comment y parviennent-ils ? En étant en quelque sorte interchangeables et, par la magie du costume, en se remplaçant dans la peau des personnages à chaque changement de scène. Être plus explicite serait trahir un peu la magie de leur jeu.

Je ne veux pas m'y résoudre et vous promets qu'il vaut le détour : 250 ans après, le texte n'a rien perdu de son côté piquant. Ne soyez pas déçus si vous trouvez qu'au final, il demeure conforme à ce que vous pensez être la bonne morale de son temps : il a bien fallu que l'autrice se montre précautionneuse pour échapper aux coups de ciseaux de la censure royale ! Ce n'est heureusement pas le cas des Herbes Folles qui, respectueuses du texte, s'amusent à y introduire un peu d'improvisation et ont même pris le temps d'écrire leur propre conclusion, afin d'en proposer deux versions différentes. Pour ma part, je n'en ai entendu qu'une seule, mais il m'a été dit que cette audace correspond bien à l'esprit de la pièce originelle, qu'elle enrichit en somme d'une relecture contemporaine. Je serais donc vraiment curieux de la découvrir aussi. Compte tenu de la qualité de ce que j'ai  vu, d'autres spectacles issus du matrimoine "oublié" m'intéresseraient également !

----------
Les prochaines dates...

Le collectif Les Herbes Folles sera donc à Lyon, au Théâtre des Marronniers, pour un total de cinq représentations programmées les 7, 8, 9, 10 et 11 mars. Par la suite, il jouera en plein air lors du Festival La Basse Cour, à l'Amphithéâtre des Trois Gaules, courant mai. Ouvert à Avignon l'an passé, le chemin de La Supercherie Réciproque pourrait se prolonger...

...et un mot pour dire merci !
Je le destine à la troupe, ainsi qu'à Amélie Branchat, la photographe dont j'ai publié quelques-unes des images aujourd'hui.

Commentaires