Quatre femmes sous les projecteurs

Elles joueront la première de cinq représentations ce soir, deux jours seulement après la Journée internationale des droits des femmes. Elles y ont pensé, bien sûr, et y voient un heureux hasard. Céline Bontempo, Sophie Brusset, Camille Gineau et Lola Stackler arrivent aujourd'hui au Midi / Minuit, à Grenoble, avec D'abord, ils nous regardent, leur second spectacle. Invité à assister à une répétition, j'ai découvert quelques extraits du texte de Claude Monteil lundi et me sens impatient d'en appréhender l'intégralité. Après Clôture de l'Amour, de Pascal Rambert, la compagnie Oh et Puis M...!, fondée en 2019 à Grenoble, est elle aussi dans les starting-blocks. La longue crise sanitaire n'est certes pas venue à bout de sa motivation.


Sur le plateau, quatre femmes, donc, anonymes, chacune juchée sur un tabouret de bar - en robe de soirée et chaussures à talons hauts. Équilibre instable, si ce n'est précaire. Leur nom ? Ce sera donc au public de les inventer (ou pas, en fait). L'auteur, qui ne leur en a pas donné, est bien un homme, malgré la toujours possible ambigüité laissée par son prénom épicène. Ce que raconte D'abord, ils nous regardent ? Ce n'est pas facile à dire. Le dossier de présentation du spectacle parle (je cite) de "quatre comédiennes comme abandonnées par leur auteur et par leur metteur en scène, qui se questionnent à vue et se raccrochent au regard des spectateurs". Autre hypothèse : "Quatre femmes, comédiennes, autrices et metteuses en scène de leurs propres questionnements, qui veulent porter sur scène leur statut de sujet désirant. Et revoir ainsi le rapport de pouvoir entre l'artiste et le modèle, repenser les canons de la beauté et réinterroger la notion de représentation". Sur la base de ce que j'ai pu voir et entendre, les deux possibilités sont complémentaires. Je crois que c'est précisément tout l'intérêt de la pièce : se prêter à des interprétations diverses, en ravivant éventuellement les débats sur l'égalité femmes-hommes.


L'origine du projet mérite en tout cas d'être racontée. Cécile, Sophie, Camille et Lola expliquent qu'elles ont suivi ensemble la formation professionnelle de l'École des Gens, à Grenoble, et ont été heureuses ensuite de faire leurs débuts sur scène en groupe. Pas une mince affaire, au début : "On a mis quatre mois avant de trouver un texte intéressant avec quatre rôles féminins et dont les droits étaient disponibles, détaille Sophie. On a fini par trouver celui-là, qui parle de quatre comédiennes qui cherchent leur place dans leur métier, mais aussi en tant que femmes". Toute ressemblance... vous connaissez la suite. Ce que vous ne pouvez pas forcément imaginer, en revanche, c'est que la pièce vous amusera. Lola l'envisage toutefois sans hésiter : "On a beaucoup ri, à la première lecture". Ce n'est en réalité que progressivement, au fil de leur travail collectif et du fait de leur interprétation, que ses copines et elle ont passé un cap et vu apparaître un sous-texte bien particulier. Lola, toujours : "C'est justement ce qui est chouette au théâtre ! En réalité, ce que le public découvre est une adaptation. L'auteur n'a pas pas la même conception des rapports de pouvoir, des positionnements. Il les avait écrits et mis en scène autrement. Nous, on a apporté notre truc en changeant la fin de la pièce, tout en restant très fidèles au reste du texte originel et n'y réalisant que peu de coupes". Et sans jamais aller au-delà de la liberté laissée par Claude Monteil. Autant le préciser...


Cécile, elle, assure que ce n'est qu'en répétant que la petite troupe a pu se dire qu'elle se confrontait au fruit d'un regard masculin. "Nous étions d'abord heureuses d'avoir trouvé ce texte, avec un effet comique et quatre rôles équilibrés, dit-elle. C'est quand on a vraiment commencé à le travailler que l'on s'est rendu compte du propos et des questions qu'il pouvait poser. Cela nous faisait rire, mais, en même temps, il y avait aussi un côté pas très drôle". Pas question pour autant de renoncer ! Au contraire, les amies ont visiblement pris beaucoup de plaisir à mieux définir leurs personnages et à s'engouffrer aussi dans ce qu'il restait de non-dit pour leur apporter une épaisseur supplémentaire. Elles ont tenu à éviter toute posture caricaturale et à respecter les intentions de l'auteur en mettant sur pied un spectacle immersif. Intentions énoncées clairement par le titre de la pièce : D'abord, ils nous regardent entend aussi parier sur une interaction directe avec le public. La petitesse du Midi / Minuit devrait s'y prêter à merveille, si j'en juge par ma connaissance du lieu. "C'est la première fois que l'on jouera la pièce dans cette configuration, souligne Camille. De la place du spectateur, on suppose que cela va créer une image assez impressionnante". Et des émotions contrastées, peut-être, qui font en tout cas partie intégrante du projet. Pas de panique si la mécanique du rire s'enraye un peu du fait de quelques répliques grinçantes : ce serait assez logique. La bonne nouvelle étant qu'après le spectacle, il sera aussi possible d'en débattre avec chacune des quatre comédiennes.

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Les prochaines représentations...

- au Midi / Minuit (Grenoble) les 10, 11, 12 et 13 mars,
- à la Basse Cour (Grenoble) le 27 avril.

...et les remerciements d'usage !
Je les adresse évidemment à Cécile, Sophie, Camille et Lola, ainsi qu'à Yassine Lemonnier, l'auteur des trois photos.

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