Pierre de Patience : Anne Claire Brelle passe aux aveux

Quelle claque ! J'ai eu la chance d'assister récemment au tout premier filage de la nouvelle pièce présentée par le Théâtre du Risque : Pierre de Patience, une adaptation du roman éponyme d'Atiq Rahimi, Prix Goncourt 2008. Un texte aussi court que puissant que l'auteur a choisi d'écrire en français, après trois autres ouvrages rédigés dans la langue de son pays natal, l'Afghanistan. L'histoire que le livre raconte pourrait bien s'y dérouler, mais l'écrivain s'est amusé à brouiller les pistes en soulignant que les faits qu'il décrit auraient tout aussi bien pu survenir ailleurs. Autant donc se plonger dans son récit...


C'est précisément la posture adoptée par Anne Claire Brelle, la comédienne qui s'apprête à le porter sur une scène grenobloise dont j'ai déjà eu l'occasion de vous parler plusieurs fois : le Midi / Minuit, qui s'avère une fois encore un lieu idéal pour ce type de spectacles. Avec - entre autres - la complicité de Sébastien Geraci, metteur en scène, la jeune femme se montre elle aussi particulièrement convaincante dans le rôle de cette femme musulmane veillant sur le corps d'un mari blessé d'une balle dans la nuque et plongé dans un profond coma. C'est au fil d'un monologue d'une durée d'une heure environ que le public va progressivement découvrir qui est ce personnage et tout ce qu'il a vécu (en bien ou en mal). "J'avais lu ce texte il y a longtemps et il m'avait marquée, raconte Anne Claire. Il me plaisait beaucoup et, s'agissant d'un huis clos autour des propos d'un seul protagoniste, je lui trouvais une forme assez théâtrale. J'avais, malgré cela, quelques doutes sur ce choix, aussi : c'est un texte violent, qui ne laisse pas beaucoup de place à l'humour. Avant tout, je craignais d'être taxée d'appropriation culturelle". Je suis en accord avec l'artiste qui juge le théâtre libre de s'affranchir des carcans trop étroits... 

Ce n'est qu'avec un infini respect pour l'œuvre première qu'Anne Claire s'en est emparée et s'est livrée à un travail d'adaptation particulièrement exigeant, si ce n'est difficile. "Sébastien et moi avons tout d'abord pris le texte tel qu'il était sous sa forme de roman, en gardant les paroles de la femme citées entre guillemets. Ensuite, nous avons élagué cette matière afin que le spectacle ne soit pas trop long pour tenir dans le temps imparti, et qu'il n'y ait pas de redites. On s'est autorisé quelques modifications dans l'ordre chronologique retenu par Atiq Rahimi : le personnage nous propose en somme une sorte de flashback sur sa vie et, puisqu'il est question d'une confession, cela ne nous a pas semblé grave de rafistoler les choses". Également metteuse en scène à ses heures, la comédienne assume parfaitement ses choix, mais tient aussi à préciser qu'elle a évolué sur un fil. Pas question pour elle, ancienne étudiante en lettres, d'affaiblir ou de trahir la forme littéraire ! "La langue du roman est très belle, explique-t-elle. On sent que l'auteur est un véritable amoureux des mots et c'est évident que le texte n'a pas été écrit pour le théâtre ou le cinéma, au départ. Cela me plaisait de conserver une part de cette poésie"...

Mission accomplie ! Anne Claire parvient très bien à restituer la force du roman et incarne avec brio un personnage probablement plus complexe qu'il ne peut y paraître de premier abord. Soucieux de ne pas trop en dire, j'ai donc demandé à la comédienne elle-même comment elle le percevait : "Pour moi, c'est une femme qui s'émancipe, m'a-t-elle alors répondu. Parce que son mari ne peut plus lui répondre, sa parole se libère. Mais se venge-t-elle de cet homme ? Je ne crois pas, non. Certes, elle a du ressentiment à son égard et l'insulte même à deux ou trois reprises ! Et pourtant, il y a aussi de la tendresse en elle ! Elle prend aussi soin de son homme : c'est pour cela que je la trouve à la fois extrêmement forte et touchante. D'ailleurs, je pense que, si on ne sentait pas cet attachement, sa logorrhée ne serait qu'un coup de gueule, dépourvu d'intérêt". L'avenir dira si, comme la comédienne le pense, chacun est en mesure de s'identifier à cette femme et d'être ému par elle. Ma certitude à moi, c'est qu'avec ce troisième seule-en-scène personnel, Anne Claire mérite bien des éloges. Modestement, elle parle d'un "beau cadeau" que Sébastien Geraci lui a fait avec ce cinquième solo du Théâtre du Risque depuis que la compagnie s'intéresse à ce format. Elle explique aussi son choix de Pierre de Patience : "Je joue au théâtre parce que certains textes méritent d'être entendus et pas seulement lus. Celui-là en fait partie". Il ne vous reste qu'à le vérifier.

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Les dates pour ce spectacle...

Les représentations ont lieu au Midi / Minuit jeudi 5, vendredi 6, samedi 7 mai à 20h00, et enfin dimanche 8 mai à 17h00.

Et une précision importante !
Comme prévu de longue date, le Théâtre du Risque poursuivra ensuite sa saison 2021-2022 avec les quatre solos précédemment créés par d'autres de ses comédiens. C'est sous son chapiteau de Champ-sur-Drac, du 19 au 29 mai prochains, qu'il donne rendez-vous au public pour les reprises de Enfin la fin (Florian Delgado), Givrée (Honorine Lefetz), Mickey la torche (Charles-Étienne Coly) et La sœur de Jésus-Christ (Anthony Gambin). Détails et réservations sur son site

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