Honorine Lefetz, comédienne collective et singulière

Ce fut une rencontre joyeuse... et bien arrosée : de passage à Paris en début d'année, j'y ai retrouvé Honorine Lefetz, partie de Grenoble il y a de longs mois, non sans quelques aller-retours, pour se former à l'art délicat de la marionnette. La pluie qui tombait alors sur la capitale était tout sauf un simulacre théâtral : descendue de vélo, la comédienne est arrivée trempée à notre rendez-vous. Après un bon moment de bavardage hors-micro, le temps de sécher, je l'ai trouvée heureuse de cette opportunité parisienne, fidèle à elle-même et prête à me révéler ce que j'ignorais de sa belle vie sur les planches...


Premier constat : sa passion pour le théâtre ne date pas d'hier. "Hono" - comme l'appellent ses ami(e)s - avait huit ans lorsque tout a commencé. À l'en croire, c'est très simple : elle qui se montre souvent des plus convaincantes et énergiques sur scène était une petite fille assez renfermée sur elle-même, solitaire et pas très à l'aise avec les enfants de son âge. Inscrite à un cours d'art dramatique par ses parents, la gamine y fait, d'après ses propres mots, "une superbe rencontre" avec cet univers artistique. Plus élancée que d'autres mômes et bien que débutante, elle intègre rapidement un groupe d'adultes et trouve une seconde famille, structurée comme une réelle compagnie professionnelle. Ses premières armes réalisées à La Mure l'incitent à poursuivre, au collège d'abord, au lycée ensuite, où elle renonce définitivement à la robe d'avocate qui l'avait un temps attirée. Non sans malice, la jeune femme souligne qu'elle avait même effectué divers stages juridiques et, du point de vue de l'éloquence, voit quelques similitudes entre son art et celui qui s'exerce dans les prétoires. Elle est cependant restée fidèle au théâtre. "Le seul endroit où je peux tout faire, tous les jours et dans mille lieux différents"...

Honorine dit aussi qu'elle a "des parents sympa". Dont acte : ils l'ont laissée s'inscrire au lycée Champollion de Grenoble pour passer un bac théâtre. C'est à cette époque qu'elle croise Sébastien Geraci, son ami metteur en scène, qui lui ramène un sac à dos qu'elle a oublié en salle de cours. Déclic réciproque. Les prémices de la Troup'Ment, que l'on désigne ensuite sous le nom de Théâtre du Risque, sont alors posées petit à petit. D'autres membres viennent rejoindre l'entité, formée avec Yoan Weintraub, Charles-Étienne Coly, Anthony Gambin... de manière suffisamment solide pour que le duo initial évite dans un premier temps de suivre une formation professionnelle et commence à concevoir ses propres spectacles. "Au départ, nous répétions au Musée de Peinture aux côtés de la compagnie Yvon Chaix et cela nous a aidés, raconte Hono. Pour ma part, depuis le collège, je savais que je voulais faire ce métier. En fait, je ne me suis pas réellement posé de questions pour savoir si c'en était un vrai". Alors qu'elle pratique depuis plus de vingt-cinq ans, la comédienne s'amuse de sa candeur d'enfant et évoque spontanément ses premiers pas. Sur son CV, on peut ainsi lire la mention d'une première pièce jouée en 1996, Le voyage d'Anastasia, où elle était à la fois un personnage féminin et un ours blanc. Nous avons souri de concert en notant que, lors de notre échange, elle portait un manteau d'une texture et d'une couleur proches du pelage de l'animal !


Un peu d'Honorine Lefetz était caché sous l'anecdote : la comédienne est exigeante avec elle-même, sans se prendre trop au sérieux. C'est par cet esprit de professionnalisme et d'engagement artistique qu'elle caractérise la démarche collective qui anime le Théâtre du Risque. Bientôt deux décennies après ses débuts, si ses membres sont restés soudés, c'est aussi parce que ses artistes et techniciens sont avant tout une bande de potes. Celles et ceux qui la fréquentent régulièrement le savent : dans la troupe, il n'y a ni jambe de bois, ni bras cassé, et tout le monde met la main à la pâte côté technique. "Avec nos spécificités à toutes et tous, nous étions très axés sur la mise en scène collective, indique également Honorine. Sébastien a fini par dire stop et chacun a pu trouver sa place en fonction de ses propres envies. Cela reste une aventure partagée, dans le sens où on discute beaucoup et où on croit à la force de l'écoute. Et, c'est vrai : on reste un groupe d'amis. Nous avons eu la chance de nous rencontrer tôt". La comédienne n'hésite jamais à descendre des planches pour construire un bout de décor, participer à l'élaboration d'un costume ou accomplir telle ou telle tâche administrative. Du boulot, ouais !

En capitaine, elle apprécie aussi de faire le lien entre son metteur en scène et ses partenaires de plateau, quand c'est utile pour avancer. Elle se voit encore, bottin en main, parcourir la longue liste des salles de spectacles de l'agglo grenobloise afin de proposer les spectacles de la compagnie. Même si elle a "appris à déléguer", cet engagement paye : avec le Théâtre du Risque et quelques autres regroupements, Honorine a désormais participé à une quarantaine de pièces. Entre autres. Je passerai aujourd'hui sur certaines de ses expériences de jeu, où l'on peut pointer un peu de figuration et quelques rôles au cinéma. Je ne ferai que citer les diplômes qu'elle a obtenus après le bac, à savoir une licence Arts du spectacle (2007) et un Master 2, au terme d'une recherche sur le théâtre européen (2009). Hono coche beaucoup de cases : elle a animé des atelier théâtraux à l'Espace 600, tenu une billetterie, travaillé pour le montage-démontage de plateaux... et j'en passe. Pour l'instant, j'oublie aussi son intérêt pour la danse, la musique, le chant et les arts du cirque. Et je tiens à témoigner qu'elle a fait preuve de la même rigueur lorsqu'en 2019, elle s'est mise à travailler son premier solo : le mémorable Givrée...

À partir d'un texte de Karin Serres, sa prestation dans le rôle de cette caissière maladroite, coincée dans une chambre froide, est une drôle de tourbillon scénique. L'interprète indique avoir lu "bon nombre de textes, entre ceux que j'ai trouvés dans ma bibliothèque et d'autres repérés chez Troisième Bureau. J'ai hésité entre celui-là et un autre, Chaîne de montage, écrit par Suzanne Lebeau, au sujet d'ouvrières mexicaines". C'est donc finalement avec enthousiasme qu'elle s'est jetée, à corps perdu, sur le premier, y déployant une palette remarquable, entre rires et émotions. "J'ai aimé le côté foufou du personnage, sa dimension physique et cette obligation d'être dans le dépassement de soi. J'ai retrouvé dans ce rôle certaines des raisons qui m'ont fait faire du théâtre : cette possibilité d'être tour à tour une Inuit, une patineuse artistique, une crevette ou un yaourt. Et encore, on a enlevé beaucoup de choses !". Honorine confie qu'elle a vraiment apprécié ce travail préalable en binôme avec Sébastien Geraci et cette collaboration dans autre chose qu'un travail de groupe. Elle souligne toutefois au passage l'apport essentiel de Florian Delgado, leur ami commun, pour l'habillage sonore. La voilà ravie de s'être frottée à un texte compliqué, qui mélange allégrement les propos du personnage et ses ressentis, sous la forme de didascalies insolites. "C'est une vraie épreuve de ne se reposer presque que sur soi, dit-elle. Cela m'aura probablement beaucoup appris". Elle parle de mémoire du corps et d'associations d'idées incongrues. Avant de le reprendre en mai, elle est contente d'enfin retrouver sa troupe en février, pour porter une autre pièce, La Tour de la Défense, devant le public : cela concrétisera de longs mois de travail, par touches successives (ce dont je reparlerai le moment venu). Aux vues des premières répétitions, ce réveillon de la Saint-Sylvestre est du genre explosif. Hono, impeccable en junkie psychotique, n'a sans doute pas fini de surprendre !

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