Un vrai-faux vaudeville venu de Russie

Ce n'était pas prémédité, mais la coïncidence m'amuse : ce lundi, sur Envies de partages, un Russe succède à un autre. Comme annoncé au début de la semaine dernière, c'est l'occasion de retrouver la compagnie Müh et la pièce d'un auteur contemporain originaire de Sibérie, Ivan Viripaev, au titre étonnant : Les guêpes de l'été nous piquent encore en novembre. J'ai eu le bonheur d'assister à l'une des dernières répétitions. Plusieurs représentations sont au programme du Théâtre Prémol dès cette semaine, avant une tournée prévue en Isère au cours de la première quinzaine de mars (voir ci-dessous).


Pour ces dates, Stéphane Müh - à droite sur ma photo - retrouve deux partenaires : Hélène Gratet et Patrick Zimmermann. Il s'appuie aussi sur une équipe réduite, où figure notamment Isabel Santos Pilot à la dramaturgie et aux costumes. L'histoire ? C'est celle d'un trio formé par Sarra, Robert et Donald, un couple et un vieux copain, lancés dans une discussion aux reliefs changeants, entre règlements de comptes, moments désespérés face à la pluie qui ne cesse jamais de tomber et élans affectifs plus ou moins retenus - dignes d'adolescents. Vous avez du mal à suivre ? Il n'y a pas lieu de s'inquiéter...

Cité sur le site de la MC2, qui accompagnera la tournée, Ivan Viripaev - né en 1974 - le déclare sans ambages : "Mon travail consiste à amener le spectateur face à lui-même, à ses abîmes personnels, à ses propres questions sans réponse, et tout cela avec le plus de joie possible, et donc sans lui donner de leçons. En le laissant jouer avec le tragique comme un enfant manipule les pièces d'un puzzle, sans tension ni douleur". Habile de sa plume, lui se plaît visiblement à brouiller les cartes. Les curieux qui liront la pièce avant de la voir jouée noteront même que les personnages portent un autre prénom à l'écrit !

Dans son jeu comme dans sa mise en scène, Stéphane Müh s'accommode volontiers de ce mystère, lui à qui les œuvres d'Ivan Viripaev conviennent tellement. "En réalité, cette pièce s'est aussitôt imposée à moi, même si tout était très abscons au départ, souligne-t-il. Je n'ai rien compris et, en même temps, j'avais le sentiment que c'était absolument génial. J'en ai parlé à Patrick, avec qui j'étais parti à Avignon jouer À tour de rôle, une autre pièce". Les deux complices sont vite tombés d'accord sur les qualités de ce texte et prennent un plaisir évident à le reprendre avec une amie qui, elle, avait déjà "croisé" l'auteur...


"J'avais présenté sa pièce Illusions, au cours d'une mise en lecture organisée par Troisième Bureau, confirme Hélène Gratet. Par ailleurs, j'avais lu Les guêpes, et j'adorais donc Viripaev. Je ne suis pas certaine de pouvoir affirmer que je le cernais mieux pour autant, mais je sentais qu'il créait des gouffres, des choses qui me faisaient rire... et d'autres que je ne comprenais pas". D'où l'envie de le jouer, également ressentie par Patrick Zimmermann, qui préfère parler d'un rôle que d'un personnage. "Nous n'avons en fait que peu d'éléments biographiques sur les protagonistes, indique le comédien. Pas d'avant, pas d'après. On ne voit que ce moment où ils sont captés. Robert est donc avant tout l'un des sommets du triangle relationnel qu'il forme avec Sarra et Donald. Il n'existe que par ce qu'il dit, par ses contradictions ou ses évidences, mais aussi par ses états d'âme. Par ce qui le relie aux autres. Au fond, ces trois-là sont comme un atome. Inséparables. Un en moins et la molécule disparaît !".

Hélène Gratet le confirme : "Nous n'avons pas vraiment de contours, juste des éléments donnés ici et là. Le fait de porter plusieurs prénoms le montre parfaitement. Sarra, par exemple, est au départ très ancrée dans sa foi catholique. Le contact avec les autres va l'ébranler. Des choses se dégonflent, d'autres se remplissent. On fait tous face à des phénomènes d'inversion ou, pour reprendre un terme à la mode, de contamination. C'est en cela que la métaphore avec les éléments liquides, les forces et la physique est pertinente". Stéphane Müh, pour sa part, voit presque trois personnages réunis en un. "Nos états sont souvent interchangeables et s'échangent, même. Donald est perdu, mais c'est cependant un ami précieux dans ce triangle qui pourrait être amoureux. La pièce laisse ainsi une fausse impression de vaudeville et nous embarque plutôt dans une tempête merveilleuse, où l'on se perd et où l'on se retrouve, parfois". Que se passe-t-il enfin ? On voudrait le savoir...


Mais peu importe, au fond, puisque rien de grave n'arrive vraiment. Et si c'est justement là, dans ce moment où le chaos attendu ne survient pas, que résidait l'essentiel ? Ce n'est pas sans y avoir d'abord réfléchi que je formule cette hypothèse. "C'est si important d'être les uns avec les autres, de s'aimer les uns et les autres", glisse en tout cas Patrick Zimmermann. "Même si, au-delà de cela, rien n'est franchement stable et tout reste toujours en déséquilibre, relève Hélène Gratet. J'apprécie cette pièce parce qu'elle peut aussi correspondre à une vision que j'ai de ma propre existence... et sans négliger l'humour. Il est probable qu'on puisse jouer ce texte de plusieurs façons, mais construire de simples archétypes ne serait pas intéressant". Autant dire qu'elle invite le spectateur à interpréter lui-même ce qu'il peut voir et entendre de l'interprétation de la troupe. "D'un point de vue extérieur, je trouve que l'on a affaire à une écriture rare. Elle propose un monde, pas la lecture d'un monde. Chacun est libre, en fonction de sa personnalité, de faire son spectacle. Or, s'il y a un théâtre militant que j'aimerais défendre aujourd'hui, c'est bien celui-là : un théâtre qui prend tout son sens au-delà d'une forme de morale". Et je ne saurais mieux dire !

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Les dates de représentation :

- au Théâtre Prémol le 27 janvier (répétition publique), puis du 28 au 30,
- au Tremplin de Brézins le 4 mars,
- à la Salle des fêtes de Saint-Pierre-de-Chartreuse le 5 mars,
- au Centre de loisirs d'Engins le 6 mars,
- à la Salle des fêtes de Monestiers-de-Clermont le 10 mars,
- à la Salle des fêtes de Saint-Étienne de Crossey le 11 mars,
- à la Salle des fêtes de Val de Virieu le 12 mars.

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