L'amour du jeu et du hasard

Molière, Shakespeare et... Tchekhov ?  Je n'ai pas fait de sondage pour vérifier, mais je me dis que le dramaturge russe compléterait idéalement un podium des auteurs les plus illustres du théâtre classique. Vous savez bien : ces signatures réputées au point que l'on considère inutile de voir une seule de leurs œuvres avant de prétendre les connaître par cœur ! Pour ma part, si je vous en parle, c'est parce que je me suis décidé à m'intéresser à Derrière l'Ours, une version audacieuse de la pièce sortie en 1888 de l'imagination du maître précité ! Ce qui justifie sans doute... quelques explications liminaires.


L'homme qui a vu L'Ours (avant moi) et n'a pas eu peur s'appelle Marc Balmand. Il se décrit lui-même comme un hyperactif et parle joliment de la compagnie qu'il a créée - L'Escabeau, à Voreppe - comme de "la jardinière où (il) plante ses idées". L'originalité de Derrière l'Ours tient au fait que le public traverse la pièce - une farce d'un seul acte, que les comédiens interprètent dans son intégralité - de trois manières différentes. D'où la quête de ce "juste équilibre" espéré par Marc. "Longtemps, on a préféré laissé les gens découvrir la surprise par eux-mêmes, mais cela pouvait les décontenancer, les perdre ou même, pour certains, un peu les agacer ! En fait, au départ, on forme donc trois groupes : le premier assistera au spectacle de manière conventionnelle, un autre sera installé derrière le rideau de fond de scène et le dernier sera accueilli dans les loges. Chaque groupe change de lieu toutes les demi-heures et assiste alors à la représentation sous un nouvel angle à chaque fois".

L'intention est que tout le monde passe un agréable moment, bien sûr. Marc jure en tout cas n'avoir aucune réelle volonté iconoclaste : "J'aborde le texte et la mise en scène de manière classique. J'avais essayé de faire quelque chose qui sorte encore davantage de l'ordinaire, mais cela ne fonctionnait pas. En réalité, je ne voulais pas que ce que je dévoile des coulisses et des loges soit pour ainsi dire éclipsé par une mise en scène trop forte sur le plateau. Comme vous le verrez, les répliques font parfois tilt avec la situation des divers comédiens". C'est au Conservatoire de Grenoble qu'il s'est frotté au plantigrade pour la première fois. Lorsqu'il a travaillé des passages de la pièce, d'abord. En la revisitant, plus tard : "Je devais présenter un projet de mise en scène et j'avais envie d'emmener le public voir ce qui peut se passer dans d'autres parties du théâtre lorsque les comédiens jouent. La mise en place de la mécanique de création me fascinait, mais mon projet n'a pas été retenu"Marc a de la suite dans les idées. Hier comme aujourd'hui, il affirme se laisser avant tout guider par ses envies ! Pas question donc de renoncer : "Je l'ai monté dix ans après ma sortie du Conservatoire. Et voilà donc dix ans qu'il tourne !"...


Le comédien-metteur en scène s'amuse, lui aussi, et témoigne de sa volonté d'y ajouter une certaine forme de pédagogie. "Nous montrons que le théâtre, ce n'est pas évident, explique-t-il. Le spectateur n'a pas toujours conscience de tous les aléas que nous pouvons connaître. Il faut bien dire que les comédiens sur scène, eux, font tout pour que les bugs ne se voient pas". Pour mieux faire passer ce message, Marc y a réfléchi, mais il ne croit pas qu'il y ait une façon de voir Derrière l'Ours meilleure qu'une autre. "Nous nous étions posé la question, mais nous n'avons pas trouvé. Au final, il se trouve que les gens nous disent toujours qu'ils sont convaincus d'avoir participé au meilleur groupe. Certains viennent voir la pièce plusieurs fois. Nous les plaçons toutes et tous dans une situation insoluble... et c'est précisément ce qui me plaît". Pas au point toutefois d'inviter le public ailleurs que dans la salle lors de chacun de ses autres spectacles ! Il livre cependant une anecdote personnelle : un beau soir de représentation à guichets fermés, il n'avait pu accueillir son propre père que sur une chaise posée à l'arrière-scène. De quoi réveiller son désir de monter Derrière l'Oursqui est et restera pour lui "un spectacle à part" !

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Les prochaines représentations...

- à la Basse Cour de Grenoble du 27 au 29 janvier + du 3 au 5 février,
- à l'Agora du Crès le 9 février,
- au Ciné-théâtre de La Mure le 11 février,
- au Coléo de Pontcharra les 10 et 12 mai.

Un dernier point important : 
Je veux conclure en adressant enfin un très grand merci à Olivier Pascual, l'auteur des deux photos utilisées aujourd'hui.

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